Bande dessinéeVan Hamme fait des adieux fracassants à Blake et Mortimer
Le scénariste de «XIII» et «Thorgal» signe sa dernière aventure pour les héros créés par Jacobs et n’hésite pas à «faire tout péter».
- par
- Michel Pralong
Il y a 25 ans, en 1996, Jean Van Hamme fut le premier scénariste à reprendre les aventures de Blake et Mortimer, héros créés par Edgar P. Jacobs 50 ans plus tôt. Avec Ted Benoit au dessin, il signait «L’affaire Francis Blake», album élégant qui allait totalement relancer la série. Depuis, plusieurs équipes sont attelées à la tâche pour sortir un tome par an, ce qui fait qu’il y a désormais plus de Blake et Mortimer sans Jacobs (16 sans compter celui particulier de Schuiten) qu’avec (12).
Van Hamme, l’un des plus prolifiques scénaristes de BD à qui l’on doit des héros devenus des classiques, comme XIII, Thorgal ou Largo Winch, a lui-même imaginé plusieurs aventures de Blake et Mortimer, se frottant à tous les styles abordés par Jacobs. Après un premier récit d’espionnage, il penche vers la science-fiction avec «L’étrange rendez-vous», puis le mystère archéologique avec «La malédiction des trente deniers», récit en deux parties. «J’ai toujours dit que je me limiterais à trois histoires», explique l’auteur belge.
«… et j’en ai finalement écrit quatre», dit-il à l’occasion de la sortie ce 19 novembre du tome 28, «Le dernier Espadon». «Cette fois, je crois que je n’y toucherai plus!» C’est certes encore un conditionnel, mais cela semble toutefois bien être les adieux du scénariste de 82 ans aux personnages qui ont émerveillé l’enfant qu’il était.
«Les premières pages du «Secret de l’Espadon» m’ont terrifié»
Car Blake et Mortimer fêtent leurs 75 ans cette année et, à l’époque de leur création, Jean Van Hamme, 7 ans, découvre leur première aventure, «Le secret de l’Espadon». «C’est vraiment celui qui m’a le plus marqué, j’ai ressenti une grande émotion. C’était la première fois que je lisais une histoire aussi réaliste, bien plus réaliste que les aventures de Tintin. Les premières pages m’ont terrifié», explique-t-il dans le dossier de presse de ce nouvel album.
Il est donc logique que l’Espadon, avion atomique révolutionnaire créé par Mortimer, soit au centre de l’aventure, Van Hamme boucle ainsi la boucle. Et fait la part belle à cet engin dont on a beaucoup parlé dans la série pour finalement peu le voir. Les premières pages de ce 28e tome sont terrifiantes, mais les suivantes aussi. Blake et Mortimer vont devoir empêcher un attentat de l’IRA contre le palais de Buckingham Palace, projet que l’armée républicaine irlandaise avait réellement envisagé durant la Seconde Guerre mondiale et qui avait échoué. Ici, pour la fiction, elle retente le coup, mais avec cette fois un certain Olrik pour lui donner un coup de main.
Il dynamite les codes
Van Hamme renoue avec les scènes de guerre des trois volumes du «Secret de l’Espadon», n’hésitant pas à provoquer quelques carnages avec un Olrik plus impitoyable que jamais. Mais le scénariste ne fait pas exploser qu’engins et bâtiments, il s’amuse à dynamiter quelques codes de la série, en y distillant pas mal d’humour, en se permettant une allusion à une homosexualité des deux héros, en donnant un rôle non négligeable (et un peu libertin) à une femme et en n’hésitant pas à mettre Blake et Mortimer face à leurs propres responsabilités par rapport à la violence de leurs aventures.
Fin renard, le scénariste nous explique enfin pourquoi Blake n’est que capitaine malgré son poste et a l’intelligence de redonner un rôle bien plus actif à ce cher Nasir que Jacobs avait eu le tort de transformer en domestique, l’effaçant à un point tel qu’il l’avait carrément abandonné ensuite. Ce «Dernier Espadon» est donc un récit de haut vol, avec beaucoup d’action. Un adieu (si c’est en vraiment un) réussi de Van Hamme. On est heureux pour lui que cela se termine ainsi.
Mission accomplie également pour le duo de dessinateurs, Teun Berserik et Peter Van Dongen qui avait déjà signé les deux très inégaux tomes (25 et 26) de «La vallée des immortels». La mise en page est ici bien plus aérée que dans le tome 26. Mention particulière à la très belle couverture. Il se dégage peut-être une certaine froideur de l’ensemble, mais l’histoire de Van Hamme est suffisamment brûlante pour la faire oublier.