Bande dessinée40 ans après la mort d’Hergé, il faut toujours lire Tintin
Le génial créateur s’est éteint le 3 mars 1983. Un nouveau livre revient sur ses sources d’inspiration et replace dans leur contexte les critiques souvent fausses contre lui.
- par
- Michel Pralong
Le 3 mars 1983, Georges Rémi, bien plus connu sous son pseudonyme d’Hergé, s’éteint à 75 ans. L’auteur belge a transformé un art mineur et méconnu, la bande dessinée, en un succès mondial grâce à son héros, Tintin. Il laisse derrière lui un ultime album inachevé, «Tintin et l’Alph-Art». Plus jamais personne ne dessinera le fameux reporter à la houppe, tel est le testament d’Hergé.
En revanche, depuis 40 ans, les ouvrages analysant l’œuvre d’Hergé sous toutes ses coutures, même les plus invraisemblables, ont nettement dépassé le nombre d’albums de Tintin. Parmi ceux qui sortent à l’occasion de cet anniversaire, celui de Bob Garcia, «Hergé les ultimes secrets» est intéressant à plus d’un titre.
Son dessin de couverture est intrigant, montrant Hergé sortant un livre marqué de la croix gammée nazie d’un tiroir libellé «propagande», avec un aigle allemand sur le meuble. Va-t-on découvrir encore d’autres idées nauséabondes de l’auteur, déjà souvent accusé de racisme, d’antisémitisme et de misogynie? C’est en fait le contraire, Bob Garcia remet les choses dans leur contexte et, surtout, s’appuie sur tout un matériel autre que Tintin écrit par (ou sous la direction de) Hergé. Car on l’oublie parfois, mais il fut également le rédacteur en chef du «Petit Vingtième», supplément hebdomadaire destiné à la jeunesse du journal le «Vingtième siècle».
Une source incessante d’inspiration
Il existe déjà beaucoup de beaux et bons ouvrages sur la documentation d’Hergé, dont la monumentale collection «Chronologie d’une œuvre». Mais plutôt que d’aller chercher dans sa bibliothèque, pourquoi ne pas comparer ses albums à ce qu’il écrivait ou avait sous les yeux chaque semaine, «Le petit Vingtième», puis «Le Soir Jeunesse» et enfin le journal «Tintin». Bob Garcia a fait ce travail colossal et détaille ses trouvailles album après album.
Hergé était une éponge, on le savait, mais là c’est époustouflant: l’auteur reprend des phrases, des gags, des dessins, des noms qu’il a vu défiler dans toutes ces pages. Un article de 1934 s’intéresse aux rickshaws? Tintin sera à bord d’un la semaine suivante dans l’épisode hebdomadaire du «Lotus bleu». Un professeur autrichien, W.-J. Müller cité au-dessus d’un article sur un faux-monnayeur allemand? Le fameux professeur Müller, qui fait de la fausse monnaie dans «L’île noire», aura les initiales J.-W.
«Monsieur Hitler devrait retourner en Autriche»
Bob Garcia cite des centaines d’exemples, à tel point que tous les lire ne s’adresse qu’aux tintinophiles les plus passionnés. Et cela peut parfois être tiré par les cheveux. Mais ce qui est le plus intéressant dans ce livre, c’est la partie intitulée «La vérité sur Hergé». Déjà, dans les exemples tirés du «Petit Vingtième», on est stupéfait de la manière dont Paul Jamin et Hergé s’adressaient de manière si adulte aux petits lecteurs dans leurs éditos ou dans la rubrique «Ce qui se passe…». Et ce qu’on y lit est souvent critique face au racisme ou au totalitarisme. «M. Callaghan n’a été ni interné ni lynché. Mais s’il avait eu la peau noire…». Ou «M. Hitler ferait mieux de retourner dans son village d’Autriche. Cela ferait plaisir à bien des Allemands et à bien des Européens».
À l’heure où l’on récrit des textes pour les expurger de ce que l’on pourrait trouver offensant ou discriminant aujourd’hui, on pourrait amputer Tintin de bien des pages. Mais c’est évidemment ce qu’il ne faut pas faire. Il faut les lire, en les remettant dans le contexte de l’époque. C’est précisément ce que fait Bob Garcia, démontant ainsi presque la totalité des critiques faites contre Hergé. Il n’était de loin pas irréprochable, difficile quand on choisit de collaborer à un «Soir» dit occupé, sous la coupe de l’envahisseur. «Hergé aura donc été passablement opportuniste et lâche, mais à aucun moment n’a adhéré à l’idéologie fasciste», conclut l’auteur.
Il faut donc continuer à lire Tintin, conscient des différentes époques auxquels les albums ont été créés. Parce que cela reste aussi des chefs-d’œuvre intemporels.