55 morts au MexiqueLe périple inhumain des migrants dans les camions d’Amérique centrale
«Je rentre chez moi. J’ai eu trop peur»: après l’accident de la route qui a coûté la vie à plus d’une cinquantaine de personnes jeudi soir, des survivants disent avoir renoncé au rêve américain.
Au bord de l’asphyxie, entassés avec femmes et enfants, abandonnés par des passeurs: des migrants en situation irrégulière racontent leur voyage en camion dans des conditions inhumaines d’Amérique centrale vers les États-Unis, au lendemain de la mort de 55 d’entre eux dans un accident au Mexique.
À Tuxtla Gutierrez, au Chiapas, près du Guatemala, quelques survivants (105 blessés au total) retracent le film du cauchemar de jeudi soir. «Je me souviens des hurlements des gens quand le camion s’est renversé», raconte Selvin Lanuza, 18 ans, originaire du Guatemala comme la plupart des victimes. «J’ai vu plusieurs morts», ajoute le tout jeune homme légèrement blessé, qui évalue à 200 le nombre de personnes à bord de la remorque. Selvin avait quitté sa famille une semaine auparavant. C’est la première fois qu’il tentait de rejoindre les États-Unis dans l’espoir d’un meilleur avenir qu’une vie de journalier agricole dans le département de Nueva Santa Rosa.
À ses côtés, 33 autres blessés, dont Aura Meletz, une jeune femme de 21 ans, également du Guatemala, le bras gauche cassé. C’est la deuxième fois qu’elle tentait d’aller en Virginie, aux États-Unis, où vit l’une de ses amies. Il y a trois mois, elle avait été expulsée du Texas. «J’ai senti qu’il y avait beaucoup de personnes sur moi. J’ai perdu connaissance et j’ai senti que je dormais», raconte-t-elle au sujet de l’accident. Aura et Selvin affirment qu’ils vont renoncer au rêve américain. «Je rentre chez moi. J’ai eu trop peur», dit le jeune homme.
«Blessé, mais en vie»
Au Guatemala, les familles des victimes attendent des nouvelles. Les autorités mexicaines viennent d’appeler Lucrecia Alba Xaminez, 28 ans, pour lui donner des nouvelles de son mari. «Il est blessé, mais en vie», se réjouit Lucrecia avec ses deux filles et des voisins. «Il a des fractures. Je n’en sais pas plus».
Celso Pacheco, 34 ans, a quitté mardi dernier Solola, dans l’ouest du Guatemala. «Son rêve était d’aller jusqu’aux États-Unis», raconte sa femme. «Malheureusement, il était à bord de ce camion». Au Guatemala, Celso est un journalier agricole. «Ce que nous gagnions, nous le mangions tous les jours. C’est pour cela qu’il a pris la décision de voyager», poursuit son épouse. Elle a su que son mari était entré par ses propres moyens au Mexique, où il s’est mis en contact avec un «guide» ou un «coyote», les passeurs qui s’adonnent aux trafics d’être humains vers les États-Unis.
Des milliers de personnes tentent de quitter le Guatemala, pays dont la moitié de la population est pauvre, pour les États-Unis. En 2020, les États-Unis ont expulsé 21’057 Guatémaltèques après 54’599 en 2019.
Dans sa charpenterie, l’oncle de Lucrecia, Juan Angel Xaminez, affirme que ses deux fils de 26 et 21 ans sont également partis travailler aux États-Unis. «Le chômage au Guatemala est très élevé», explique-t-il. «On risque sa vie pour donner du pain à ses enfants, parce qu’ici, qu’est-ce que l’on gagne? 50 quetzales (6,47 USD), 40 quetzales (5,18 USD) par jour. Cela ne suffit pas pour soutenir la famille».
«Cauchemar»
Le voyage vers les États-Unis en camion est un «cauchemar», se souvient Cecilia Hernan, une Hondurienne de 39 ans, rencontrée tout au bout du chemin, à Ciudad Juarez, à la frontière du Mexique avec le Texas. Cecilia se repose et se protège du froid dans une auberge après avoir été expulsée en novembre des États-Unis. Elle était arrivée jusqu’à la frontière avec trois enfants de 2,4 et 16 ans à bord d’un camion rempli de migrants.
«Beaucoup de gens s’évanouissaient, les enfants également. Beaucoup de gens se déshabillaient car on étouffait», se souvient la jeune femme. Le voyage a duré deux jours. «Ils nous pressaient comme des animaux, enfermés. Il y a de l’air conditionné, mais après ils le coupent. Tout le monde veut sortir, mais c’est impossible. Tu es comme séquestré», raconte-t-elle.
Cecilia et les migrants ont été abandonnés dans une zone désertique où ils ont passé trois nuits, selon son témoignage. Deux de ses fils, déjà installés aux États-Unis, avaient payé des «coyotes» pour que le reste de la famille puisse passer. Seul son fils de 16 ans a pu passer.
Rien que pour cette année, 821 migrants sont morts en Amérique centrale ou en Amérique du Nord, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM). La principale cause sont les accidents de la route (162), le manque de nourriture ou d’eau (142) ou l’épuisement (108). Le Guatemala a proclamé trois jours de deuil après le drame de Tuxtla.