Alain Morisod: «Notre télévision en Suisse devient morose, tout le monde le dit»

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InterviewAlain Morisod: «Notre télévision en Suisse devient morose, tout le monde le dit»

Il y a cinq ans, l'émission «Les coups de cœur d'Alain Morisod» s'arrêtait. Le présentateur déplore le manque de variété sur la RTS et annonce une émission spéciale sur Léman Bleu.

Fabio Dell'Anna
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Fabio Dell'Anna
Alain Morisod est prêt à revenir dès demain avec «Les coups de cœur», mais il confie que la direction de la RTS l'a dans le collimateur.

Alain Morisod est prêt à revenir dès demain avec «Les coups de cœur», mais il confie que la direction de la RTS l'a dans le collimateur.

RTS - Philippe Christin

Le 9 novembre 2019, la Radio Télévision Suisse (RTS) mettait fin aux «Coups de cœur d'Alain Morisod», une émission emblématique du paysage audiovisuel romand qui a su marquer les esprits durant 21 ans. Cette décision, encore regrettée par de nombreux téléspectateurs et par Alain Morisod lui-même, a laissé un vide dans l’univers du divertissement suisse, d’autant que depuis, peu de formats ont tenté de combler cette absence.

Toutefois, une bonne nouvelle se profile pour les nostalgiques: le 16 novembre prochain, «Les années coup de cœur» viendra raviver les souvenirs et redonner vie à ce programme légendaire sur la chaîne Léman Bleu.

Toujours fidèle à son style inimitable, Alain Morisod nous promet un show dans lequel chaque séquence sera soigneusement choisie et super-sympa. On y retrouvera des extraits hilarants, des interviews légendaires, et même quelques invités surprises qui ont fait le succès de l’émission pendant deux décennies. Le Genevois de 75 ans revient dans son rôle préféré, celui du passeur d'émotions et de nostalgie. lematin.ch lui a passé un coup de fil, juste avant la diffusion.

On va vous revoir à la télévision le 16 novembre prochain dès 20 heures sur Léman Bleu. Pouvez-vous nous en dire plus?

L’émission s’appelle «Les années coup de cœur». Cela fait cinq ans que j’ai arrêté «Les coups de cœur d’Alain Morisod» sur la RTS. Une décision qui est venue de la chaîne, alors que le programme fonctionnait très bien. Depuis, j’ai fait quelques émissions spéciales par plaisir, mais cette fois, je reviens avec un véritable hommage aux meilleurs moments de ces vingt années. Des instants forts, drôles et émouvants sont réunis, et ceux qui appréciaient ce show retrouveront toute l’ambiance qui leur plaisait tant. Je recommande vraiment de ne pas la manquer! Mon seul regret, c’est qu’elle ne soit pas diffusée sur la télévision romande. Mais si ça fonctionne, on partira peut-être sur d’autres bases.

Vous regrettez toujours la disparition de l'émission, cinq ans plus tard?

Je regrette surtout le public. Croyez-moi, il ne se passe pas un jour sans que des inconnus me disent: «Oh, ce qu'on aimait vous voir à l'écran.» La télévision s'est tiré une balle dans le pied. Bien sûr, j’avais l’âge pour partir, mais l’émission procurait un immense plaisir aux téléspectateurs, et j’adorais l’animer. Vous verrez ce que vous avez perdu en regardant le show le 16 novembre; tout ce qui y figure était réellement efficace et apprécié.

Aujourd'hui, quels souvenirs gardez-vous des «Coups de cœur d'Alain Morisod»?

C'est une aventure incroyable qui a duré 21 ans, débutant en 1988. Mon lien avec la Télévision Suisse Romande a toujours été particulier. J’en fais partie depuis plus de 50 ans, sans jamais vraiment appartenir à la «maison». J’ai toujours été une sorte de collaborateur extérieur. Un jour, on m’a proposé de faire une émission de variétés. J’ai accepté, avec une condition: pouvoir choisir mon réalisateur, mon décorateur et mon producteur. Pendant trois mois, plus de nouvelles. Puis, finalement, on me prévient: «Tu tournes le 8 novembre, ils adorent ton idée.»

Et c'était direct le carton plein?

J’ai alors fait l’émission exactement comme je la sentais, et elle a été diffusée le 28 à l’échelle européenne, atteignant 43% d’audience. Un succès inoubliable. Ainsi a commencé cette aventure, avec des audiences exceptionnelles et un public fidèle. Il n’y avait pas besoin de convaincre les gens: ils étaient naturellement au rendez-vous. La salle, qui comptait 400 places, recevait environ 2000 demandes par émission pour assister au spectacle. Ce fut véritablement un grand bonheur.

Vous avez reçu également énormément de personnalités...

C’était presque devenu une chasse gardée pour certains artistes. J’ai eu la chance de recevoir pratiquement tout le monde, même si, malheureusement, certaines occasions ne se sont pas présentées à cause de problèmes de dates. J’ai invité aussi des personnalités suisses, comme Marie-Thérèse Porchet, qui est venue quatorze fois, et je l’ai surprise avec une interview vraiment hilarante que vous verrez sur Léman Bleu. Il y avait aussi François Silvant, un talentueux humoriste qui nous a quittés trop tôt. On me disait souvent: «L'émission, c’était pour les vieux.» Alors qu’en réalité, ce n’était pas le cas. Les jeunes ne regardent plus réellement la télévision, c’est un fait, mais nous avons accueilli des artistes de toutes générations: Les Fréro Delavega, Vianney, Amir – des artistes adorables avec qui j’ai eu de très bons échanges.

«Ce qui me frappe, c’est que les gens, eux, continuent de payer la même redevance. Ils n’ont pas payé pour une télévision au rabais!»

Alain Morisod, présentateur TV

Une personne vous a particulièrement touché?

Il y a une anecdote que je garde en mémoire. À l’époque où Louane était au tout début de sa carrière, elle explosait avec son film «La famille Bélier» et son premier succès musical. Tout le monde la voulait, et moi, j’espérais la recevoir dans mon émission. On me dit que c’est possible, mais pas garanti, car elle est pressentie pour un César. Je prends le risque de l’attendre, mais finalement, elle décroche bien son César et je me dis que c’est perdu. Pourtant, à ma surprise, elle me rappelle: elle veut absolument venir. Elle enchaîne le journal de TF1, et le lendemain matin, à 7 h, elle est chez nous en Suisse.

Trouvez-vous que la télévision a beaucoup changé depuis votre départ?

En France, il y a une multitude de shows de variétés comme des télécrochets, des émissions de souvenirs... Tous les samedis, des programmes revisitent de vieilles séquences qui fonctionnent à merveille depuis des années. Chez nous, on a décidé de tout arrêter. Plus de variété. C’est malheureux, car la télévision devient morose. Tout le monde le dit, il n’y a plus rien. J’apprécie énormément Alexis Favre, mais pour des raisons personnelles, il ne travaille plus pour le moment. C’est dommage, puisque dans cette maison, j’ai vécu des moments de bonheur. Mais aujourd’hui, je dois le dire avec un peu d’amertume: il n’y a plus de décors, plus de décorateurs, plus d’ateliers, plus de vie dans les studios. C’est triste. Tout le monde est morose, et les gens n’ont qu’une idée en tête: partir. Les bureaux sont vides, mais c’est la réalité. Et pourtant, personne n’en parle.

Si on vous demandait de revenir, vous accepteriez?

Je suis partant dès demain! Mais il faudrait déjà changer de direction, car j’ai clairement l’impression d’être dans leur collimateur. Ils sont partis sur d'autres bases, et cela me gêne beaucoup, surtout quand on entend constamment parler d’économies. Depuis cinq ans, on nous impose des coupes de plusieurs millions, et cependant la dette continue de s’aggraver. On n’arrivera jamais à renverser la tendance.

Jamais?

Ce qui me frappe, c’est que les gens, eux, continuent de payer la même redevance. Ils n’ont pas payé pour une télévision au rabais! Il faudrait faire un choix au bout d'un moment. Et ne parlons pas des émissions... Je vois «Cash» et je me dis que TV Onex, c'est dix fois mieux.

Et pour la suite, qu'avez-vous prévu?

Le 1ᵉʳ décembre, je pars pour quatorze concerts en France et Suisse romande. J’aurais pu en faire davantage, mais un problème de dos m’a freiné. Aujourd’hui, même si je marche, mon équilibre n’est plus ce qu’il était.

Vous allez mieux?

Oui, ça va, je n’ai plus mal. Je m'appuie sur l'épaule d'un copain, parce que ça m'emmerde de prendre une canne. (Rires.) Et puis vous savez, j'ai eu 70 ans de bonheur au niveau de la santé. Maintenant, je reçois les premières factures. Je suis heureux et j’ai plein de projets en tête. C'est ce qui compte.

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