Nouvelle-CalédonieLa Nouvelle-Calédonie face à un passé colonial qui peine à s'effacer
Après trois décennies de paix, l’histoire coloniale de la France en Nouvelle-Calédonie resurgit avec force. La crise politique couvait depuis le référendum contesté de 2021 et se double d’une situation sociale explosive, sur fond de discriminations et de tensions ethniques, selon des chercheurs.
Historiquement conquise pour ses ressources naturelles, la Nouvelle-Calédonie était aussi considérée par la France comme «une colonie de peuplement», rappelait mercredi l’anthropologue Benoît Trépied sur France Culture. A côté d’un peuple autochtone colonisé, les Kanak, plusieurs vagues de migrants se sont succédé: bagnards amenés de métropole, colons, travailleurs océaniens et asiatiques.
«Pendant longtemps (...), le peuple autochtone et tous les autres se sont un peu regardés en chiens de faïence parce que la société était très ségrégée», souligne le chercheur. Cette tension coloniale n’a pas disparu avec l’abolition de la colonie en 1946, et a finalement abouti au «face à face mortifère» des années 1980, une guerre civile larvée jusqu’au massacre d’Ouvéa.
Le 5 mai 1988, un assaut militaire est déclenché contre la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie où des indépendantistes kanak retenaient depuis le 22 avril 27 otages. Dix-neuf militants kanak et deux militaires sont tués.
«L’histoire coloniale continue de nourrir le ressentiment d’une partie de la population», observe Evelyne Barthou, maîtresse de conférences en sociologie à Pau. «Quand j’interroge les jeunes, il y a encore cette transmission dans les familles de ce passé colonial, de toutes les exactions qui ont été commises à l’encontre des Kanak, les spoliations de terres, les viols, la soumission aux travaux forcés».
La situation s’était apaisée depuis les accords de Matignon, prolongés par l’accord de Nouméa en 1998. Pour construire la décolonisation de la Nouvelle-Calédonie, le pari a été de «bâtir une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie réunissant le peuple kanak et les autres communautés implantées de longue date», souligne Benoît Trépied. Un projet «d’unification sociale et politique» au sein de la France, «mais avec une vocation d’émancipation», rappelle-t-il.
Mais fin 2021, un virage politique s’enclenche avec l’organisation d’un troisième référendum sur l’indépendance contre la volonté des indépendantistes.
«Depuis ce référendum, organisé en plein Covid et en plein deuil des familles kanak, l’Etat français est clairement sorti de son rôle d’impartialité pour prendre position en faveur des anti-indépendantistes», estime Isabelle Leblic, directrice de recherche émérite au CNRS.
Un très fort sentiment d'injustice
Mais c’est la volonté d’élargir le corps électoral qui met le feu aux poudres, tout comme dans les années 1980. Les Kanak craignent que l’arrivée de 25.000 nouveaux électeurs, pour moitié nés sur place, les mettent en minorité politique alors qu’ils ne représentent déjà numériquement que 41% de la population.
«Il n’y a aucune surprise dans ce qui se passe. Loin d’être une sanction contre les Européens, le gel du corps électoral visait à protéger la population kanak, qui avait déjà été divisée par deux au XIXe siècle du fait notamment d’insurrections réprimées dans le sang», commente Evelyne Barthou, également rattachée à l’Université de Nouvelle-Calédonie.
Cette crise politique se double d’une situation sociale hautement inflammable dans un territoire aux populations très armées, où les «identités ethniques» se superposent nettement «avec les inégalités sociales», indique Benoît Trépied en rappelant que les écarts de richesse en Calédonie «sont bien plus importants qu’en France métropolitaine».
«Il y a certes une petite bourgeoisie kanak, mais 70% des pauvres sont des Kanak, tandis que les métropolitains possèdent beaucoup d’argent, beaucoup de pouvoir et sont souvent à des postes clé», abonde Evelyne Barthou. À tel point que chez les jeunes Kanak, «le sentiment d’injustice» est de loin «le sentiment le plus largement partagé», selon elle.
Questionnement identitaire, difficultés sociales, contexte politique, crise économique liée au nickel - minerai au coeur de l’économie locale - et incertitude climatique sont autant de facteurs qui alimentent la révolte.
S’ils ne se reconnaissent pas toujours dans les représentants indépendantistes, les jeunes sont très politisés. Lors de la dernière manifestation à l’appel de la CCAT, ils avaient assuré le service d’ordre, sans débordement», selon Mme Leblic.