InterviewElisabeth Baume-Schneider: «C'est une chance d'être au Festival de Cannes»
La conseillère fédérale affirme qu'il ne doit y avoir zéro tolérance envers des gestes déplacés sur les plateaux de cinéma. Elle évoque aussi la victoire de Nemo à l'Eurovision.
- par
- Fabio Dell'Anna, Cannes
Cette année, la Suisse est l'invitée d'honneur du Marché du Film, un événement qui se déroule pendant le Festival de Cannes. Après l'Inde en 2022 et l'Espagne en 2023, la Confédération helvétique bénéficie de cette initiative qui vise à mettre en lumière l'industrie cinématographique d'un pays.
La conseillère fédérale socialiste Elisabeth Baume-Schneider a fait le déplacement pour l’occasion. La ministre de la Culture a notamment monté les marches pour la projection de «Megalopolis» de Francis Ford Coppola. Elle a aussi participé à de nombreuses discussions avec des gens du métier. Elle a ensuite donné un discours sur l'importance du cinéma suisse et de son rayonnement à l'international lors d’une soirée organisée par Swiss Films, vendredi.
Pendant ce programme glamour et chargé, elle nous a accordé un entretien pour parler de l’expérience qu'elle vient de vivre ainsi que de l’avenir du cinéma suisse. Elle est aussi revenue sur la victoire de Nemo à l'Eurovision. Rencontre dans un hôtel, à côté du Palais du festival.
Cela vous réjouit d'être au Festival de Cannes?
Oui, c'est une chance. C’est aussi un engagement important. Il faut être reconnaissante et attentive à ce que disent les différents partenaires. J'ai eu un petit-déjeuner avec des réalisateurs et des producteurs, représentant les différentes branches et les différentes régions linguistiques. Je pense que c'est une opportunité exceptionnelle d'avoir accès, en un temps réduit, à de nombreuses personnes extrêmement compétentes dans le domaine.
Oui, c'est une expérience particulière de partager toute cette effervescence, non seulement pour notre délégation, mais aussi pour les vedettes de cinéma et l'équipe de Francis Ford Coppola. Il faut reconnaître que c'est une chance pour notre pays d'être l’invité d'honneur du Marché du Film. Et puis voilà, nous n’allions pas bouder notre plaisir!
L’an dernier, Alain Berset, alors ministre de la Culture, a déclaré: «Aucun autre domaine culturel que celui du cinéma n'a connu de telles évolutions au cours des dix dernières années.»
Assurément, il y a un changement. On consomme l'image différemment sur les plateformes, et on ne peut plus concevoir le cinéma uniquement dans les salles. Désormais, il se vit davantage sur les plateformes, dans les festivals, ainsi que dans divers formats. Et puis, la visibilité de la Suisse s'accroît grâce aux coproductions, ainsi qu’à nos efforts en termes de formation. Les hautes écoles attirent des jeunes du monde entier, et des Suisses enseignent à Paris ou ailleurs. Cela crée une émulation dans un écosystème culturel et économique très important. Je pense qu'il y a une grande évolution.
Pensez-vous qu'il y a encore des progrès à faire?
On ne doit jamais se reposer sur ses lauriers, toujours être en mouvement. Actuellement, nous avons une belle dynamique et une génération de talents reconnus, comme l'actrice-réalisatrice Lætitia Dosch, par exemple. Il est toujours risqué de citer un nom sans en mentionner d'autres, mais nous ne sommes pas du tout provinciaux. Nous saisissons la nécessité de collaborer et de coproduire avec les pays voisins ou des partenaires plus éloignés, comme le Canada ou le Mexique. Nous espérons également pouvoir établir des accords de coopération avec d'autres pays.
La culture devrait être encouragée pour la période 2025-2028 avec une enveloppe de 987,9 millions de francs. Pouvez-vous nous en dire plus?
Nous débutons actuellement la discussion politique sur le message culturel 2025-2028. Cela inclut le domaine du cinéma, mais aussi tous les autres secteurs culturels. Dans ce message, il y a aussi des intentions politiques, comme l'amélioration des conditions de travail. On sait que le domaine culturel propose souvent des contrats de travail atypiques, et il est crucial d'être attentif à ces conditions. Nous devons par ailleurs lutter contre toute forme de discrimination et veiller au respect des personnes. Cela me permet de faire le lien avec le film de Judith Godrèche, «Moi aussi», que j’ai eu la chance de voir mercredi à Cannes. Il démontre que la tolérance zéro n'est pas juste un slogan. Cela doit être une vigilance constante, pour nous tous.
D'ailleurs, pensez-vous que la présence des coordinateurs d'intimité devraient être obligatoire sur les plateaux?
Ce qui doit être obligatoire, c'est le respect de la tolérance zéro en termes de gestes ou de propos perçus comme déplacés par des femmes ou des hommes dans leurs relations de travail. Peut-être qu'il faut des coordinateurs d'intimité, ou d'autres manières de réguler les relations de manière éthiquement correcte. Par ailleurs, je suis convaincue que l'utilisation de coordinateurs d'intimité ne limiterait pas la créativité. C'est un mythe de croire que le respect ou la décence entravent la créativité. On peut être extrêmement créatif tout en étant extrêmement respectueux.
Pouvez-vous nous raconter un souvenir marquant cinématographique?
Le film «Et vogue le navire…» de Federico Fellini m'a vraiment impressionnée. Je trouve qu'il y a une scénographie incroyable. Cela peut faire sourire, mais à l'époque, on montrait comment les décors étaient construits. On a réellement l'impression d'être sur un bateau. La musique est également magnifique. L'allégorie du monde sur ce bateau est tout simplement saisissante. Et puis, ce journaliste avec un hippopotame sur une barque qui ne coule pas... J'en garde un souvenir marquant.
Finalement, le cinéma vous aide à vous évader...
Pour moi, le cinéma est aussi une expérience sociale. Quand on est jeune, on ne va presque jamais au cinéma seule. On y va en groupe, avec une copine ou un copain. C'est souvent le début d'une soirée, et ces souvenirs-là restent gravés.
Dix millions de places de cinéma ont été vendues en 2023 en Suisse. C'est 20% de plus qu'en 2022, mais toujours 16% de moins avant le Covid. Selon vous, les salles ont-elles encore un avenir?
Les résultats sont meilleurs que ce qu'on aurait pu redouter. Alors oui, j'y crois, parce que l'expérience de vivre l'ambiance du cinéma est très différente de celle sur une plateforme, sur un petit écran, ou même sur un téléphone portable. Peut-être qu'à l'avenir, on trouvera d'autres manières d'intéresser le public, en proposant des quinzaines thématiques, des soirées à thème, ou des expériences plus globales. Je pense par exemple à des cinémas avec un orchestre dans la salle. On peut vraiment inventer d'autres façons de rendre le cinéma encore plus attractif.
Vous avez été l'une des premières à réagir lorsque la Suisse a gagné à l'Eurovision. Cette victoire peut-elle apporter quelque chose de positif à notre pays?
Cela a déjà apporté quelque chose de positif dans le sens où la Suisse est présente dans une manifestation extrêmement connue à l'international. Une jeune personne de 24 ans, d'une maturité incroyable, s'expose non seulement par son talent artistique, mais aussi en tant qu’individu, partageant ce qu'elle a vécu et montrant que tout n'a pas toujours été facile. Nemo a traversé des moments difficiles, voire douloureux, pour briser les codes. Et je trouve cela très touchant.
L’organisation de l’Eurovision en Suisse en 2025 crée déjà beaucoup d’effervescence.
On voit déjà une émulation. Dans plusieurs grandes villes, les hôtels et les chambres sont déjà réservés. Ce qui est intéressant avec cette manifestation, c'est qu'elle ne se limite pas à une seule soirée. Elle commence déjà quelques semaines avant, créant un écosystème qui peut, économiquement parlant, profiter largement de cet événement. Cela donne aussi une image positive de la Suisse. Sans complexe, nous pouvons montrer des combats de reines à la télévision, une grande fête du yodel ou des costumes, ainsi qu'une personnalité artistique aux multiples talents exprimant sa non-binarité. Il y a une véritable Nemo-mania!
Des subventions au niveau fédéral peuvent-elles être espérées?
Tout d'abord, la SSR est le principal partenaire pour organiser cet événement avec la ville et le canton hôtes. Cette situation est tellement exceptionnelle que, j’en suis convaincue, il faudra réfléchir à la manière dont la Confédération peut intervenir. Il y a différents prismes: le domaine culturel bien sûr, mais également le domaine économique, notamment en termes de tourisme et d'image de la Suisse. C'est un événement unique, peu susceptible de se reproduire fréquemment, il est donc légitime de se poser quelques questions exceptionnelles.
Avez-vous une préférence pour la ville hôte?
Je m'abstiendrai bien sûr de tout pronostic! Quelle que soit la ville hôte, cela apportera un rayonnement et du panache à l'ensemble du pays.