Festival de CannesJudith Godrèche: «J'ai le sentiment d'être une enfant qui crie»
Durant la Quinzaine, l'actrice présente un court-métrage qu'elle a réalisé sur les violences faites aux femmes. Lematin.ch était à sa conférence, vendredi.
- par
- Fabio Dell'Anna, Cannes
Judith Godrèche est au Festival de Cannes pour présenter «Moi aussi», un court-métrage qui dénonce les violences faites aux femmes et qui marque une nouvelle étape du combat de la réalisatrice et actrice de 52 ans. Pour rappel, plus tôt cette année, elle a porté plainte contre Jacques Doillon et Benoît Jacquot pour des faits remontant à son adolescence.
La maman de deux enfants a été invitée ce vendredi 17 mai par la Fondation Kering dans le cadre des «Women In Motion Talk» pour parler de ce nouveau projet. Pendant vingt minutes, elle a raconté de sa voix douce les horreurs auxquelles plusieurs victimes d'agressions sexuelles ont été confrontées. Judith Godrèche, qui ne pensait être que «la muse» des réalisateurs, a finalement trouvé sa voie.
Comment est né votre projet «Moi aussi», projeté au Festival de Cannes cette semaine?
J'ai brisé un long silence en portant plainte. Suite à cela, j'ai reçu énormément de témoignages et de messages sur Instagram. Ne sachant pas gérer cette plateforme, j'ai créé une adresse email. Dans ces messages, je percevais une demande d'invisibilisation, une attente de validation de leur parole. J'ai alors annoncé un projet pour leur rendre hommage et j'ai reçu environ 5000 emails en quinze jours, des témoignages de femmes et d'hommes disant «moi aussi» ou partageant leurs expériences.
L'idée était de donner un visage et une voix aux victimes de violences que la société ne veut ni voir ni entendre?
Oui, ou pas de visage. Car la visibilité peut aussi être anonyme. Être reconnu ou obtenir justice ne nécessite pas forcément une présence médiatique. La reconnaissance peut se situer dans la validation de son vécu, permettant ainsi de ne pas se sentir ignoré par la société ou les médias. Ce projet proposait à ces personnes de venir occuper une avenue de Paris avec moi, en leur offrant la possibilité d'être floutées, de dos, de côté, ou de venir sans être filmées. L'idée était de permettre la représentation de leur histoire sans imposer leur visage. Pour moi, tous les visages existent, même s'ils ne sont pas visibles.
Avez-vous l'impression que l'on vous entend mieux depuis que vous avez commencé votre combat il y a six mois?
Oui, j'ai l'impression d'être un peu mieux entendue. En même temps, les choses restent compliquées. Quand on est dans l'action, il est difficile de prendre du recul. Il y a une énergie particulière, pas celle du désespoir, mais une énergie profonde, presque enfantine. J'ai le sentiment d'avoir une énergie d'enfant qui crie, qui cherche une forme de justice ou de réparation. C'est une sorte de course en avant, mêlée de responsabilité, se demandant ce que l'on fait. Par moments, je me sens entendue, mais parfois, je suis dans un désespoir absolu, pensant que cela ne sert à rien. Ce qui est compliqué, c'est que même si l'on parle et que l'on est entendu, on finit par représenter autre chose.
C'est-à-dire?
Les victimes qui dénoncent publiquement des violences sexuelles sont souvent attendues comme des victimes parfaites ou des personnes infaillibles. Chaque pas est fait sur un sol instable. C'est très compliqué, car il y a une attente, un regard particulier. Et si l'on dénonce quelque chose, c'est aussi pour essayer de changer notre société. Mais il y aura toujours des réfractaires qui vous entendent et vous attendent avec des kalachnikovs, guettant le moindre faux pas pour pouvoir vous attaquer.
C'est la troisième fois que vous passez derrière la caméra. Ce désir de réalisation existait depuis votre plus jeune âge?
Quand j'étais enfant, j'écrivais beaucoup, sublimant ma solitude à travers l'écriture. J'ai toujours écrit des scénarios et des histoires, et j'ai toujours voulu réaliser. Cependant, très vite, la place de l'autre, celle de l'adulte représentant une forme d'autorité, a pris le dessus dans ma vie. J'étais entourée par les figures emblématiques du cinéma, des hommes qui ont marqué ma vie et qui représentaient la crème de la crème. Cela m'a fait constamment douter de ma légitimité à devenir réalisatrice. Je me demandais si, en tant que femme, muse, égérie, je pouvais prétendre à occuper la place de ces figures paternelles du cinéma. Toute ma vie, j'ai cherché à obtenir l'approbation des critiques de cinéma que ces hommes adulaient. C'était un véritable défi pour moi.
Comment vous êtes-vous lancée?
Mon départ pour les États-Unis, il y a environ douze ans, a été déterminant. Il m'a fallu quitter la France et presque abandonner ce métier pour me sentir suffisamment étrangère et loin de ce milieu. Sans aucun contact avec cet univers, j'ai pu me réinventer et trouver ma voie, l'assumer. J'ai écrit «Icon of French Cinema» (ndlr.: minisérie diffusée en 2023 sur Arte) entièrement en anglais, une langue qui n'est pas la mienne. C'est loin de ceux qui se disaient mes mentors que j'ai trouvé ma voie, tant dans le cinéma que dans le court métrage.
Vous avez commencé en tant qu'actrice. Est-ce que vous avez toujours le désir de l'être aujourd'hui?
C'est une question compliquée. Cela vient par vagues. Hier soir, je participais à une émission de télévision avec Willem Dafoe, et je l'ai trouvé tellement intelligent. Il y avait quelque chose de très sympathique qui me faisait penser qu'il y a des hommes bien, et peut-être que je vais redevenir actrice. Enfin... Redevenir actrice. Lapsus révélateur. (Rires.) Depuis que j'ai pris la parole aux César, c'est le silence. J'ai l'impression qu'en France, on a tendance à étiqueter les gens et à les mettre dans des cases. Par ta parole, tu t'inscris dans un certain rôle. Je suis devenue une militante. Il y a cette difficulté à accepter qu'une femme puisse être multifacette, tout comme les hommes.
Pensez-vous que tout ce que vous avez entrepris va peser pour votre avenir?
Oui, je pense que ça va forcément peser. Je vois déjà à quel point cela a un impact. C'est particulier. Je vis les choses au jour le jour, elles se sont déroulées comme si j'étais somnambule. La vie a pris le dessus et je me suis retrouvée dans cette situation. J'ai vécu une grande partie de mon existence assez centrée sur moi-même. Je n'ai pas été particulièrement tournée vers les autres ou défendu beaucoup de causes. J'ai aussi un certain âge, et il faut du temps pour devenir quelqu'un de «meilleur». Il est vrai qu'à un moment donné, il faudra aussi que je gagne ma vie et que je retravaille. Sinon, je me retrouverai à vendre des glaces sur la Croisette, en essayant d'apprendre à les faire avec une palette. (Rires.)