InterviewNemo: «En Suisse, le 3e genre n'a pas de reconnaissance officielle, c'est inacceptable»
Après la victoire de la Suisse, samedi à Malmö, Lematin.ch était à la conférence de presse de l'artiste puis à son arrivée à l'hôtel pour recueillir ses premières réactions.
- par
- Fabio Dell'Anna, Malmö (Suède)
Il est passé 3 h du matin lorsque Nemo revient en car à son hôtel, au centre-ville de Malmö, en Suède. Une poignée de journalistes l'attendent dehors pour recueillir ses réactions suite à sa victoire à la 68e édition de l'Eurovision.
Il s'agit de la troisième fois que la Suisse remporte le Concours — la dernière date de 1988 avec Céline Dion — et Nemo est la première personne non-binaire à lever ce trophée. Deux informations qu'iel a évidemment commentées.
Mais avant tout, l'artiste, originaire de Bienne, avait un message pour notre pays. «Je n'arrive pas à réaliser. Qu'est-ce qui vient de se passer? Merci à toute la Suisse pour son soutien et aux gens qui ont regardé depuis la maison. Merci aux nombreuses personnes venues de Bienne et qui ont cru en moi. J'apprécie beaucoup», a réagi Nemo.
Nemo, comment vous sentez-vous?
Il y a tellement de choses dans ma tête. Ce qui vient de se passer est juste incroyable, beau pour moi et pour les autres personnes qui se reconnaissent en moi. C'est génial de faire partie d'une si belle communauté comme celle non-binaire, queer ou encore LGBTQIA+. Cette aventure est pour nous et c'est une grande fierté d'en faire partie.
Cette édition a été dominée par des problèmes de sécurité, le conflit israélien contre le Hamas, la haine sur les réseaux sociaux. Tout sauf la musique...
Cette expérience a été très intense, et pas uniquement plaisante. Il y avait tant d'éléments qui semblaient être en contradiction avec l'amour et l'unité, cela m’attriste profondément. Cependant, en parallèle, l'amour était aussi très présent. Nous avons vu des rapprochements, des rencontres entre de diverses cultures, des individus débordant de positivité et d'amour pour la musique, ce qui a ravivé mon espoir. Je sais que de telles personnes existent dans le monde, mais nous devons travailler ensemble pour créer un tel environnement. J'espère sincèrement que cette vision perdurera et qu'on continuera à promouvoir la paix et l'amour à l'avenir. Cela nécessitera, je pense, un effort continu et conséquent.
Vous venez de gagner et vous avez déjà cassé votre trophée!
Je n’ai pas seulement cassé les codes. J'ai également cassé le trophée et mon pouce. (Nemo montre un bandage.) Mais tout va bien, j'en ai eu un nouveau, donc j'en ai deux maintenant. (Rires.)
Quels conseils donneriez-vous aux futurs artistes du Concours Eurovision de la chanson?
Partagez simplement des choses qui vous touchent profondément, des choses qui résonnent en vous. Écrivez à propos de cette chose, créez-la, donnez-lui vie, puis partagez-la avec le monde. En tant qu'artiste, je crois que c'est là ma véritable aspiration. Créer quelque chose de significatif à partir de votre propre vécu et le partager avec autrui est, à mon sens, l'une des expériences les plus gratifiantes qui soit.
Vous êtes la première personne non-binaire à remporter l'Eurovision. Qu'est-ce que cela signifie pour vous?
Je ressens une immense fierté. Non pas pour moi, mais pour l'ensemble de notre communauté. Pour toutes les personnes qui se reconnaissent comme non-binaires, fluides, transgenres, ou tout simplement pour tous. Pour celles qui bravent les normes pour être fidèles à eux-mêmes, pour celles qui aspirent à être comprises et entendues. Nous avons besoin de davantage de compassion, de plus d'empathie. Il est crucial que nous apprenions à nous écouter, à nous comprendre mutuellement.
La Suisse a gagné lors de la première édition en 1956 avec Lys Assia, puis en 1988 avec Céline Dion. Quel effet cela vous fait de faire partie de ce trio?
Je ne sais même pas quoi vous dire. Oh mon Dieu, entendre mon nom à côté de celui de Céline Dion, c'est fou!
Que représente ce moment pour la Suisse?
C'est un moment vraiment spécial pour la Suisse. Cela me remplit d'une immense fierté, car nous avons une scène musicale extraordinaire. Nous abritons tant de personnes talentueuses et créatives. Pour les Suisses, il n'est pas toujours facile de faire connaître leur talent à l'étranger. J'espère sincèrement que cet événement servira de tremplin, non seulement cette année, mais aussi l'année prochaine, pour mettre en lumière la créativité foisonnante de notre pays.
Vous aviez dit espérer que la prochaine édition de l'Eurovision se déroule à Bienne. Vous le pensez encore?
Je tiens vraiment à ce que cela se concrétise d'une manière ou d'une autre. Cependant, j'ai entendu dire qu'il faudrait au moins 10'000 chambres d'hôtel par ville, alors que Bienne en compte seulement environ... 500? (Rires.) Si chacun achetait un lit pour quelqu'un d'autre, nous pourrions trouver une solution originale! Sérieusement, j'adorerais voir l'Eurovision se tenir à Bienne. Ou peut-être juste la cérémonie d'ouverture?
Qui est la première personne que vous allez appeler après cette aventure?
J'aimerais prendre rendez-vous avec le conseiller fédéral Beat Jans (ndlr.: il a le département de Justice et Police). Je l’ai croisé une fois, par hasard, lors d'un événement. Je pense que ce serait une bonne occasion de boire un café ensemble, car en Suisse, il n'y a pas de reconnaissance officielle pour le troisième genre, ce que je trouve inacceptable. Nous devons agir pour changer cela, et je crois qu'une représentation politique est essentielle pour que les gens se sentent inclus et que nous progressions comme d'autres pays l'ont fait.
En arrivant sur scène lors de la finale, vous avez affiché fièrement le drapeau non-binaire. Saviez-vous que la sécurité a obligé des fans à jeter ce même drapeau avant d'entrer dans la Malmö Arena?
J'ai dû faire passer mon drapeau en secret, car l'Eurovision avait dit non (ndlr.: l'UER ne tolère que le drapeau LGBT+). Comme je l'ai mentionné, j'ai cassé les codes et mon trophée, mais peut-être qu'il faudrait d'abord réparer l'Eurovision.
Vos parents ont-ils été d'un grand soutien pour vous?
Je vais vous raconter une histoire. À 16 ans, après avoir terminé l'école, je me suis retrouvé à un carrefour. Mon professeur m'a encouragé à trouver un emploi et je me suis demandé ce que je pourrais faire de créatif. J'ai pensé à devenir chef cuisinier et j'ai même signé un contrat dans un restaurant. Mais j'ai réalisé que cela ne correspondait pas à ma passion pour la musique. Trois jours avant de commencer mon apprentissage, j'ai demandé à mes parents une année sabbatique pour explorer la musique, ce qu'ils ont accepté. Cette année a été cruciale pour moi, car j'ai pu créer plus de morceaux que jamais auparavant, ce qui m'a aidé à prendre ma passion au sérieux. Je ne pense pas que beaucoup de parents auraient accepté cette situation.
Il s'agit de la Fête des mères aujourd'hui. Qu'aimeriez-vous lui dire?
Ma mère a toujours été d'un grand soutien. Elle a toujours été là dans tout ce que je voulais. Je ressens beaucoup de gratitude envers elle.