Violences sexuellesLe maraboutage est «une arme qui n’a pas de début et pas de fin»
Un marabout est jugé en Seine-Saint-Denis pour des viols commis entre 2018 et 2020. La Cour tente de comprendre comment il utilisait le maraboutage pour arriver à ses fins.
Une «arme» psychologique: au procès d’un marabout pour de multiples viols, la Cour criminelle de Seine-Saint-Denis, en région parisienne, a essayé jeudi d’analyser comment celui-ci aurait instrumentalisé les croyances traditionnelles de femmes d’origine malienne à des fins de prédation sexuelle.
Le trentenaire malien, Ali S., est jugé jusqu’au 10 mai pour des violences sexuelles sur neuf femmes entre 2018 et 2020, en majorité des viols. La justice lui reproche par ailleurs d’avoir escroqué des milliers d’euros à ses victimes, des femmes modestes de la diaspora malienne en région parisienne.
Magistrats perplexes
Au deuxième jour du procès à Bobigny, l’audience prend parfois des allures de choc des cultures entre grille de lecture occidentale et subtilités des traditions et cultures du Sahel.
Régulièrement, les cinq magistrats français se trouvent perplexes face aux éléments du dossier. Pourquoi des photos vaudoues, envoyées par WhatsApp, de cadenas ou de coquillages cauris, anodines pour un œil occidental, ont-elles pu susciter une telle terreur chez les victimes?
«Mécanisme d'emprise»
Pourquoi telle femme s’est-elle soumise à une relation sexuelle lorsque le marabout lui a dit qu’elle avait une «pointe» dans le ventre? Que veut dire le surnom de «sarakolé» accolé à une femme dans le répertoire téléphonique du mis en cause?
À la barre, une experte psychologue essaie de déchiffrer comment la «puissance» associée à la figure du marabout dans l’esprit de ces femmes peut s’apparenter à un «mécanisme d’emprise à l’européenne».
«À partir du moment où le marabout lui-même va instrumentaliser cette puissance pour obtenir satisfaction, que ce soit argent, documents ou faveurs sexuelles, c’est une arme qui n’a pas de début et pas de fin», explique la psychologue.
Injonctions pécuniaires et sexuelles
Selon le récit des plaignantes, Ali S., un Peul arrivé en France en 2014, se présentait à elles comme un marabout. Certaines ont été abordées directement dans la rue, d’autres ont sollicité ses services pour soigner un problème personel ou de santé.
Rapidement, ces femmes ont été confrontées à des injonctions pécuniaires et sexuelles de plus en plus oppressantes. Le marabout, imposant homme au front marqué d’une tache de prière, les menaçait de malédictions du «diable» ou de tuer leurs enfants si elles ne se soumettaient pas.
Plusieurs d’entre elles disent avoir été entraînées, terrorisées, dans une chambre d’un hôtel miteux de Montreuil, une commune de Seine-Saint-Denis jouxtant Paris, et violées.
Une «stratégie manipulatrice»
La première femme à avoir porté plainte contre le marabout pour viol et qui a été à l’origine de son arrestation en octobre 2020, a réalisé rétrospectivement avoir été victime d’une «stratégie manipulatrice», relate une seconde experte psychologue, qui l’a rencontrée.
«Cet homme aurait connu sa propre culture, l’aurait abordée par sa langue, sa religion et se serait emparé de ces points d’identification pour les retourner contre elle, décrit cette dernière, elle ne parvient pas à discerner ce qui relève de sa croyance de ce qui relève de sa soumission progressive.»
Les parties civiles sont des femmes d’âge mûr – généralement autour de la cinquantaine –, de foyers modestes, croyantes et encore fortement imprégnées de culture traditionnelle malienne. «Elles sont probablement plus réceptives aux forces du maraboutage que des femmes plus jeunes, qui ont été exposées à des influences autres», avance la première psychologue. Le marabout encourt 15 ans de réclusion criminelle.