Bande dessinéeFrederik Peeters a réussi son Twin Peaks dans nos alpages
Le Genevois boucle son polar, psychédélique mais local, façon règlement de comptes à OK Corral. Ébouriffant!
- par
- Michel Pralong
Comment résumer les cinq tomes de Saint-Elme? C'est à peu près impossible: un détective arrive dans ce patelin de nos montagnes à la recherche d'un fiston de la haute et tombe sur des cadavres, une fillette enlevée et la grosse famille locale qui est mêlée à tout cela. Ajoutez une touche d'eau radioactive, une invasion de grenouilles, un derviche fou et une enquêtrice à furet blanc et vous obtiendrez, si ce n'est le sel de l'intrigue, du moins une bonne partie des ingrédients de ce polar psychédélique.
«Cela pourrait être un «Twin Peaks» version Jean-Patrick Manchette, dit Frederik Peeters, qui nous parle de sa série à l'occasion de sa venue en dédicace à BDFIL. Ce que l'on cherche à faire, avec le scénariste Serge Lehman, c'est créer des mythes dans l'endroit où l'on vit. Il y a plein de fans qui aiment se rendre dans les lieux où se déroulent leurs films ou romans favoris, même s'ils n'existent pas, comme Twin Peaks. Nous, on rêve que des gens cherchent Saint-Elme.»
De la pop culture locale
La série est un sommet de pop culture, avec des couleurs qui n'existent pas dans la réalité et des personnages qui peuvent prendre des allures de super-héros, comme le détective torturé s'échappant par les souterrains dans une ambiance verte, rappelant Hulk et la créature des marais. «Oui, amener des superhéros dans des paysages qui nous sont proches, c'est tout l'intérêt. Pas par nationalisme, mais comme on parle de circuits courts en privilégiant de manger local, pourquoi ne pas faire de la pop culture locale?»
La collaboration entre les deux auteurs va bien plus loin qu'un scénario livré par l'un et dessiné par l'autre, comme on peut également le voir dans la vidéo ci-dessou. «Serge me livre entre 2 et 5 pages à la fois et moi je fais le découpage de ce texte comme je veux. Chacun se nourrit du travail de l'autre. Même si, parfois, on peut ne pas être d'accord. Lui est fasciné par le mystère et la magie, avec une petite tendance au deus ex machina. Il fait ainsi apparaître un esprit de la montagne, que je représente en un seul dessin en le faisant passer pour une hallucination.»
Impossible d'un tome à l'autre de savoir où allait nous mener le récit qui mêle tous les genres, mais la conclusion est claire: tout se règle à grands coups de flingues. «Voilà, c'est «Rio Bravo». Pas de considération psychologique, on tire sans état d'âme, on fait au plus simple, comme dans les westerns. Je trouve que c'est le genre de scène qui a déserté la fiction et que moi, j'aime lire, donc je la dessine.»
Frederik Peetrs a bouclé ses cinq tomes entre 2021 et 2024, impressionnant! «Moi, rapide? Non, ce sont les autres qui sont lents, rit-il. Je bosse huit heures par jour et j'ai le fantasme, impossible, de rapprocher le temps de fabrication d'un livre du temps de sa lecture. Je raconte des histoires de façon industrielle, comme si je fabriquais une chaise. Je veux le faire, vite, mais bien, qu'elle soit agréable à regarder et qu'on soit bien dessus. Mais que cela reste un produit, un beau produit.»
Droits d'adaptation achetés
On n'en reste pas moins épaté par sa puissance et son originalité créatrices. Ses livres font mouche à chaque fois et plaisent. Après l'adaptation de «Pilules bleues» en téléfilm et «Château de sable» en film, il nous apprend que les droits de «Saint-Elme» ont déjà été achetés pour une série. «Après, cela se fera ou pas. Mais les droits ont été achetés avant le dernier tome et les éléments fantastiques qui s'y trouvent, avec un fantôme qui semble réellement exister, ont décontenancé les acquéreurs.»