InterviewClaude Lelouch: «Il me reste encore un film à faire»
Célébré dans un ciné-concert qui passera à Genève le 2 juin, le réalisateur français de 86 ans veut repartir pour trois ou quatre ans de tournage dans le monde entier.
- par
- Laurent Flückiger
«Dabadabada, badabadaba.» On a tous en tête la chanson d'«Un homme et une femme» (1966) de Claude Lelouch composée par Francis Lai. La musique est omniprésente chez le réalisateur français aux 51 films, et rien de tel qu'un ciné-concert pour en profiter. Ce sera le dimanche 2 juin au Théâtre du Léman, à Genève, avec l'orchestre philharmonique de Douai jouant sur un montage d'images, et la présence de Monsieur Lelouch. Les spectateurs pourront même échanger avec s'ils le souhaitent. «J'aime bien aller à leur rencontre. Le public, c'est le vrai producteur de mes films», nous dit le cinéaste de 86 ans venu en personne parler de ce spectacle à la tour RTS, mardi après-midi.
Quelle importance a pour vous la musique dans un film?
Elle est capitale. Parce que c'est le premier médicament de l'humanité, la première chose que je prends quand je ne vais pas bien. La musique a toutes les vertus. D'abord, elle dit toujours des choses agréables — c'est le contraire des paroles qui peuvent être très désagréables et agressives. Elle parle à notre part d'éternité, alors que notre intelligence nous dit qu'on est mortel. Et c'est le langage de Dieu, un langage universel. Un enfant écoute de la musique avant de parler, ça les calme. Moi, j'ai eu sept enfants. Je ne vous dis pas le nombre de fois où je leur ai mis de la musique quand ils braillaient ou quoi que ce soit. J'ai fait 51 films, ce sont tous des films musicaux.
La musique de vos films est même écrite en tout premier.
Oui, parce que c'est un grand directeur d'acteurs. S'ils écoutent la musique du film, ils savent dans quel film ils sont. La plupart des gens font la musique de leurs films après, pour boucher les trous. Pas moi. Ce spectacle est aussi une façon formidable de rendre hommage à Francis Lai, Michel Legrand, Claude Bolling, à tous les compositeurs qui sont partis et tous les acteurs qui ne sont plus là, Jean-Paul Belmondo, Jean-Louis Trintignant, Lino Ventura, Annie Girardot. Ce ciné concert les rend vivants. D'un seul coup. D'ailleurs, le cinéma a presque inventé l'immortalité.
Comment réagit votre public durant ce ciné-concert?
La première, à Paris, a été un triomphe, tellement les gens ont rêvé et décollé. Ils ont tous des souvenirs de mes films. Alors, ils ont eu des flash-back. Ce n'est pas mon spectacle qu'ils sont venus voir, mais leur vie. Quand j'ai fait «Un homme et une femme», j'ai reçu des milliers de lettres qui me disaient: «Grâce à vous, je me suis réconcilié avec mon mari» ou «J'ai trouvé la femme de ma vie». Joe Biden a trouvé sa femme en allant voir ce film. Et quand j'ai fait «Vivre pour vivre», les gens m'écrivaient pour me dire: «Grâce à vous, j'ai eu le courage de divorcer». Quand j'ai fait «Les uns et les autres», les gens me disaient: «Mais vous avez raconté ma vie?» J'ai été le témoin de mon temps, je n'ai pas adapté de livre, j'ai écrit toutes mes histoires, et tous les hommes et les femmes que j'ai mis dans mes films sont des gens que j'ai croisés.
Qu'avez-vous ressenti la première fois que vous avez vu le montage de deux heures de ces 50 films?
J'ai revu ma vie, mon travail. J'ai revisité mes rêves. C'est un pense-bête formidable. On n'a pas de mémoire, mais le cinéma, lui, se souvient de tout. Et en revoyant toutes ces images, j'ai redécouvert mes films. Il y avait même des séquences que j'avais oubliées.
Vous avez fait jouer pas mal de chanteurs dans vos films. Est-ce que parce qu'ils ont l'oreille musicale?
On ne peut pas être chanteur si on n'est pas un bon comédien. Il faut interpréter une chanson. Ils arrivent à vous faire croire à une histoire de trois minutes. Moi, il me faut 1 h 30. J'ai fait tourner Gilbert Bécaud, Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, etc. J'ai essayé de filmer des gens que j'aimais un peu plus que les autres, je n'ai jamais pris de plaisir à filmer des gens que je n'aimais pas.
Il y a des chansons avec paroles dans vos films. Y aura-t-il des invités à Genève pour les interpréter?
À chaque spectacle, il y en a. En général, s'ils sont libres, ils viennent. Alors, il y aura des surprises, bien sûr...
Vous avez terminé votre prochain film, «Finalement». Que pouvez-vous nous en dire?
«Finalement» sortira le 13 novembre en salle et c'est un film très musical. Encore plus que les autres. Ibrahim Maalouf a fait la musique et Didier Barbelivien a fait les chansons. J'ai fait appel à Barbara Pravi, une chanteuse magique, a star is born! Et à Kad Merad, qui s'est révélé un immense chanteur. Il a la voix d'Yves Montand, c'est impressionnant. Il a toujours chantonné. Là, je l'ai fait chanter. Et il est bouleversant. Je ne veux pas trop raconter l'histoire, mais c'est un beau voyage qui permet à un homme fatigué de retrouver la joie de vivre. C'est un film qui donne envie de vivre. Et je l'ai appelé «Finalement» parce que c'est sûrement un de mes derniers films. À l'âge que j'ai, il me reste encore un film à faire. Qui s'appellera «Finalement, ça finira jamais».
C'est un autre film en projet?
Oui, mais ce sera le dernier. Parce que je pense que je vais avoir besoin de trois ou quatre ans de tournage, dans le monde entier. Ce sera la suite de «Finalement». Vous savez, au final, je n'ai fait qu'un film mais en 51 épisodes.