HumeurDes mamys formidables
Il a fallu près de sept ans de lutte pour que les Aînées du climat Suisse soient entendues à Strasbourg.
- par
- Eric Felley
La Suisse a été condamnée mardi par la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) pour son inaction climatique à la suite d'une requête du mouvement Aînées pour le climat Suisse. Elle a aussi été condamnée pour violation de son sixième article, qui garantit l'accès à un tribunal.
Fondé en 2016, le mouvement des Aînées pour le climat s'est heurté durant de longues années à un mur institutionnel en Suisse. En 2017, il a déposé une requête concernant la protection du climat au Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC).
Il s'agissait d'un texte juridiquement bien argumenté sur les mesures que les autorités devaient prendre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre pour que la Suisse respecte l’objectif «très en dessous de 2 degrés» concernant le réchauffement maximum de la planète.
La justice suisse n'entre pas en matière
La démarche s'est soldée par une fin de non-recevoir, car elles n’avaient pour ainsi dire pas la qualité d'agir ainsi dans l'ordre politique suisse. Elles ont fait recours au Tribunal administratif fédéral à Saint-Gall, qui les a déboutées en 2018. En 2019, elles ont déposé un recours au Tribunal fédéral, qui les a également désavouées en 2020 pour les mêmes raisons. C'est alors qu'elles ont décidé d'aller devant la Cour européenne des Droits de l'homme à Strasbourg, où elles ont trouvé des oreilles bien mieux disposées.
À partir de là, le dossier a suivi son cours pendant près de quatre ans. Il a finalement été transféré à la Grande Chambre de la CEDH. En mars 2023, il a fait l'objet d'une audience publique. Finalement, le 9 avril 2024, la décision tombe: la Suisse est condamnée par 16 des 17 juges de la cour sur la question du climat et à l'unanimité sur le droit à un tribunal.
Hors des canaux habituels
Tout au long de ces années, le mouvement s'est étoffé pour compter aujourd'hui 2500 membres. Seule condition d'entrée: avoir plus de 64 ans. La démarche des aînées est un phénomène citoyen unique en son genre dans la politique suisse. En sortant totalement des canaux habituels, que sont les partis et les institutions, il est littéralement «hors norme». Certes, les aînées défendent un point de vue climatique, que l'on trouve à gauche de l'échiquier politique, proche des revendications des écologistes et des socialistes.
Mais dans la décision de mardi de la CEDH, il n'est pas question de gauche ou de droite. Les juges, qui leur ont donné raison, se sont basés sur des faits. Ils ont estimé insuffisante l'efficacité de la politique suisse visant à réduire les gaz à effets de serre et l'impact du réchauffement climatique sur la vie des personnes âgées en Suisse. Pas de quoi crier au scandale finalement.
En attendant la mise en application
Durant toutes ces années de combat, les politiciens bourgeois ont regardé avec une certaine condescendance ces retraitées «pétroleuses». Depuis mardi, la situation a un peu changé, même si certains considèrent toujours leur action contre la Suisse comme illégitime ou contraire aux fondements de la démocratie directe.
Une chose est certaine, fortes de leur victoire historique, elles ne vont pas s'arrêter là. Elles continueront de faire entendre leur voix dans la mise en application en Suisse de la décision de la CEDH, qui s'avèrera particulièrement houleuse aux Chambres fédérales.