CommentaireLa Suisse qui fait l'autruche condamnée à Strasbourg, et après?
La gauche jubile, la droite s'indigne. Le verdict de la CEDH ne change pas les rapports de force à Berne.
- par
- Eric Felley
La Cour européenne des droits de l'Homme a condamné ce mardi pour la première fois un État, la Suisse, pour sa gestion déficiente du réchauffement climatique, donnant raison à l'association des «Seniors du climat». Le camp rose-vert est aux anges. Mais les élus bourgeois brandissent la souveraineté de la Suisse face à des juges étrangers.
La CEDH a sanctionné les manquements des autorités helvétiques pour atténuer les effets néfastes du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie. Elle a aussi blâmé la Suisse pour la violation de l’article 6 relatif à l’accès à un tribunal. Une condamnation, qui rappelle aussi les violences policières contre les militants du climat, dénoncées il y a peu par les rapporteurs de l'ONU.
Une «énorme émotion»
Le mouvement de la Grève du climat, l'Association suisse pour la protection du climat, Greenpeace, le WWF ou actif-trafiC ont salué une décision historique. La toute nouvelle présidente des Verts suisses, Lisa Mazzone, s'est réjouie: «C’est un signal énorme, pas seulement pour la Suisse, ça va bien au-delà. C’est une énorme émotion, c’est un changement de cap, on reconnaît l’atteinte aux droits humains, et notre pays est sommé d’agir enfin rapidement». La coprésidente du PS Suisse, Mattea Meyer, a été plus virulente: «Ce jugement de la plus haute instance judiciaire d’Europe est une claque pour le Conseil fédéral».
Des juges contestés à droite
Mais en Suisse, tout le monde n'est de loin pas satisfait, on s'en doute. Le conseiller national Philippe Nantermod (PLR/VS) se plaint sur X: «En acceptant des revendications politiques, la CEDH sort de son rôle et porte atteinte à sa propre crédibilité. Il appartient aux autorités démocratiques d'établir l'agenda politique des États en matière climatique, pas aux juges».
Son collègue Damien Cottier (PLR/NE) ne dit pas autre chose: «En démocratie, les combats se mènent en politique, pas devant les tribunaux. Regrettable que la CEDH sorte de son rôle judiciaire pour s'aventurer en terrain politique, au risque d'affaiblir la portée de la CEDH, instrument essentiel pour les libertés et droits fondamentaux».
Quant à Jean-Luc Addor (UDC/VS), il ironise: «Quelle est la légitimité de la Cour européenne des droits de l'homme à prononcer une telle «condamnation»? Va-t-elle maintenant nous envoyer l'armée européenne?» L'UDC Suisse parle d'un «scandale»: «L’idéologie et le déni de la réalité règnent en maître dans les palais judiciaires européens».
Berne, pas Strasbourg
En politique suisse, le jugement de la CEDH risque de figer encore plus des camps déjà bien tranchés. Pour la majorité bourgeoise, ce verdict est perçu comme une ingérence, et, comme le rappelle le président du PLR, Thierry Burkart, les lois helvétiques ne se font pas à Strasbourg, mais aux Chambres fédérales à Berne. Ici, la position des écologistes s'est affaiblie lors des dernières élections fédérales et le nouveau chef de l'environnement est l'UDC Albert Rösti, qui veut élargir les autoroutes à six voies!
La Suisse qui fait l'autruche
Sur les réseaux sociaux, ou dans les commentaires du matin.ch, beaucoup d'intervenants se demandent pourquoi la Suisse est condamnée et pas l'Allemagne, les États-Unis ou la Chine. «Nous sommes pas les plus gros pollueurs au monde», note un tel.
C'est vrai, mais ce n'est pas la question de la pollution qui a fait l'objet de la décision des juges de Strasbourg, c'est l'inaction des autorités pour protéger la population des effets du réchauffement climatique. C'est la Suisse qui fait l'autruche qui a été sanctionnée. Ce jugement lui fera-t-elle sortir la tête du sable? Pas certain. En tout cas, cela n'empêchera pas la majorité bourgeoise de faire campagne bientôt pour l'élargissement des autoroutes. On se réjouit déjà.