ÉditorialSimplon: le naufrage de la CGN
Comment les responsables de la Compagnie Générale de Navigation sur le lac Léman ont-ils pu ignorer tous les signaux d'alerte de MeteoNews et MétéoSuisse?
- par
- Laurent Siebenmann, rédacteur en chef
Mais qu'a donc traversé l'esprit de Pierre Imhof, directeur général de la CGN, et de son équipe, pour laisser le Simplon amarré au débarcadère de Cully (VD), alors qu'une forte tempête de vaudaire était annoncée pour vendredi soir 29 mars? Qui plus est à un endroit réputé pour être particulièrement exposé?
Ces questions, une bonne partie des navigateurs de la région Pully-Lutry-Cully se les posent, et plus largement le public, depuis les événements qui ont failli couler un des plus beaux bateaux historiques naviguant encore sur le Léman. Tous les signaux d'alerte avaient été lancés dès jeudi 28 mars. Mais la CGN n'a pas su les interpréter.
Bien protégé
Le jeudi 28 mars, donc, lematin.ch publiait un article dans lequel nous relations la panne de moteur du Simplon, obligé d'être remorqué jusqu'à la commune de Bourg-en-Lavaux. «Il passera tout le week-end à Cully dont le débarcadère est plutôt bien protégé des courants», nous disait alors Pierre Imhof.
Une déclaration qui faisait réagir MeteoNews sur X, dans les heures suivantes, qui, taguant lematin.ch, signalait que laisser le Simplon à Cully était une très mauvaise idée. Carte de simulations à l'appui, les spécialistes météo annonçaient la fameuse et menaçante vaudaire.
«S'il y a bien un week-end où l'élémentaire prudence recommanderai de ne pas laisser un bateau de la CGN au débarcadère de Cully, c'est bien celui-ci. Un violent coup de vaudaire est très probable vendredi 29 mars en soirée», écrivait MeteoNews.
Proche du drame
Le lendemain, vendredi 29 mars donc, lematin.ch et 20 minutes sonnaient l'alerte dans un nouvel article. Mais Pierre Imhof confirmait son choix de laisser le Simplon à Cully... En soirée, c'était la catastrophe. Chahuté comme un simple fétu de paille par les vagues du Léman, le vénérable bateau finissait par s'encastrer dans le ponton en béton du débarcadère et frappait les rochers des quais. Il a manqué peu de choses pour qu'il coule. Fissuré, éperonné, tordu, le Simplon n'a dû son salut qu'à sa résistance et au courage des policiers, des pompiers et de quelques membres de la CGN qui se sont portés à son secours. Mais le mal était fait.
Bilan, un bateau – qui venait de sortir de maintenance – brisé de toutes parts et un débarcadère en ruine, à Cully. Manifestement, aucune mesure particulière n'avait été prévue par la CGN, malgré la vaudaire annoncée. Quand on connaît la puissance de cette dernière – souvenez-vous de la destruction du port de la Pichette, le 4 avril 1987 – on ne prend pas le risque de laisser un monument historique comme le Simplon à la merci des éléments.
Le bateau a été remorqué jusqu'à Lausanne, samedi, dans des conditions météos comparables à celle de vendredi matin. Pourquoi, dès lors, ne pas avoir procédé ce jour-là? La CGN dit ne pas avoir disposé des ressources humaines nécessaires pour effectuer le rapatriement. Week-end prolongé de Pâques oblige et vacances ont-ils pesé dans la décision de laisser le Simplon à Cully?
Trois miracles
«Les conditions météo se sont avérées plus extrêmes qu’attendues», dit la CGN dans son communiqué de presse. Rien n'est plus faux, puisque MeteoNews les avaient annoncées depuis jeudi. «Nous étions de toute façon en contact étroit avec MétéoSuisse», confiait Pierre Imhof lors de la conférence de presse qu'il a tenue samedi 30 mars. Sauf que l’Office fédéral de météorologie indique avoir émis des avis dès vendredi matin pour avertir de la situation: «Un avis de tempête n’est pas courant, c’est dur de dire qu’ils n’ont pas été avertis», nous confiait Christophe Salamin, de MétéoSuisse.
C'est donc peu dire que la CGN a fait preuve de légèreté dans cette affaire. Mais aussi qu'elle s'en est sorti plutôt bien. Car il y a eu trois miracles à Cully, la nuit de vendredi à samedi derniers. Premièrement, le Simplon n'a pas coulé. Ensuite, la soute à mazout n'a pas été percée, ce qui aurait créé une pollution dramatique des eaux du Léman. Enfin, il n'y a pas eu de blessé, malgré l'extrême violence de l'événement.
Le Simplon n'a pas coulé, certes. Mais la CGN a fait naufrage.