IstanbulLa reconquête du «joyau de la Turquie», obsession d’Erdogan
Des élections municipales sont organisées dimanche, en Turquie. La mairie de la capitale économique du pays est l'enjeu principal du scrutin.
Reconquérir Istanbul, «le joyau de la nation» qui l’a fait roi, obsède le président turc Recep Tayyip Erdogan qui en fut le maire dans les années 1990, et assigne trente ans plus tard à son parti la mission de l’arracher dimanche à l’opposition.
En 2019, après un scrutin annulé puis reprogrammé, Ekrem Imamoglu, candidat d’une coalition de partis d’opposition, avait remporté la ville, infligeant son pire revers électoral au chef de l’Etat, qui tenait la capitale économique de la Turquie dans son escarcelle depuis 1994.
«Istanbul est le joyau, le trésor, la prunelle des yeux de notre nation», a déclaré M. Erdogan lors d’un meeting dans la ville, à sept jours des élections municipales du 31 mars.
Au soir de sa réélection à la tête de la Turquie en mai dernier, le «Reis» ("Chef"), surnom qui remonte à ses années de maire d’Istanbul (1994-1998), avait dès son discours de victoire lancé la campagne des municipales. «Sommes-nous prêts à remporter Istanbul ?», avait-il demandé à une foule enthousiaste, juché sur un bus devant sa résidence sur la rive asiatique de la ville.
A deux jours du scrutin, la reconquête d’Istanbul par son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) apparaît comme l’enjeu ultradominant de ces municipales. Le sondeur Erman Bakirci, de l’institut Konda, résume en un dicton l’importance de la ville, sise de part et d’autre du Bosphore, et qui représente à elle seule 30% du PIB du pays: «L’hiver n’arrive en Turquie que lorsqu’il neige à Istanbul», dit-il, rappelant la formule du président Erdogan selon laquelle «qui remporte Istanbul remporte la Turquie». «Lorsque vous gouvernez Istanbul, vous servez et touchez près de seize millions de personnes, dont onze millions d’électeurs», développe-t-il. «Cela vous offre une opportunité politique énorme.»
Rancœur tenace
Pour reconquérir Istanbul et reconsolider son pouvoir, le président turc a désigné un ancien ministre de l’Environnement, Murat Kurum, un affidé falot au côté duquel il apparaît à la manière d’un colistier sur quantité d’affiches déployées à travers la ville.
Les sondages créditent toutefois le maire sortant, Ekrem Imamoglu, d’une légère avance. Mais le président Erdogan, aidé par une presse très largement sous le contrôle du pouvoir, a déjoué les pronostics lors de la présidentielle de mai 2023. Ekrem Imamoglu a ironisé sur l’implication du chef de l’Etat dans la campagne: «Je me demande qui est notre rival?», a-t-il feint de s’interroger face à une foule de supporters.
Refusant de perdre Istanbul, le président turc avait fait rejouer l’élection de 2019, pour finalement voir Imamoglu l’emporter de plus belle lors du second scrutin organisé trois mois plus tard. La rancœur est tenace: sans jamais prononcer son nom, le chef de l’Etat, qui dispose d’un temps de parole illimité à la télévision, lance régulièrement ses piques contre le maire d’Istanbul, devenu son plus sérieux rival au plan national. Le chef de l’Etat l’accuse de n’être qu'«un maire à temps partiel», dévoré par ses ambitions présidentielles.
Pour nombre d’observateurs, une réélection dimanche d’Ekrem Imamoglu lui ferait gagner des points dans la course à la présidentielle de 2028. Berk Esen, spécialiste politique à l’université stambouliote Sabanci, souligne qu’en tant que maire d’Istanbul, Imamoglu «peut rencontrer quotidiennement des milliers d’électeurs» et donc se retrouver très facilement «en une des journaux». En reprenant Istanbul, estime-t-il, «Erdogan entend mettre un terme à tout cela».