Bande dessinéeL'Alsace, une terre rongée par la guerre
Grégoire Carle évoque, à travers l'histoire de son grand-père Résistant, celle de sa région, grande victime de l'Histoire.
- par
- Michel Pralong
L'Alsace est voisine de la Suisse. Mais que sait-on ici de son histoire, elle qui a si souvent changé de pays, partagée entre France et Allemagne. Et connaît-on le sort qui lui a été réservé lors de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les troupes de Hitler sont arrivées, reprenant ce qu'on leur avait repris en 1918 et germanisant de force les Alsaciens?
C'est ce que raconte magnifiquement Grégoire Carle dans «Le Lierre et l'Araignée». Une BD qui n'est pas seulement un récit de guerre, mais qui parle aussi énormément de la nature alsacienne, liant ainsi un peuple à sa terre. Rencontré au Salon du Livre de Genève, l'auteur alsacien nous parle de sa démarche.
«En lisant des livres d'histoire de l'Alsace sur cette période, j'ai eu la surprise d'y découvrir le nom de nom grand-père. Il ne nous avait que très peu parlé de ses expériences, nous savions juste qu'il avait été enrôlé de force dans l'armée allemande, comme tant d'Alsaciens. 40'000 sont morts sur le front russe. Mais il y avait une pudeur d'en parler chez cette génération.»
De très jeunes Résistants
Alors Grégoire, cherche, fouille, lit et parle avec ceux qui se souviennent. Il découvre que son grand-père, adolescent, avait choisi la voie de la Résistance. Avec son groupe, le Lierre, composé uniquement de jeunes, il commence par peindre des lieux aux couleurs françaises, puis monte une filière pour aider les soldats français évadés qui arrivaient jusqu'à Strasbourg pour continuer plus loin, en espérant atteindre la zone libre, ou la Suisse.
La découverte d'un vieux et important stock de grenades leur permettra d'aller plus loin avec des sabotages et des attentats, avant de tous se faire prendre. Tortures, camps de travail puis enrôlement dans l'armée ennemie seront leur lot.
«Même en Alsace, cette histoire, on en parle peu. Je voulais aussi comprendre pourquoi ma génération rejette la tradition alémanique de l'Alsace, même s'il reste un grand attachement à la région. C'est pour cela que j'ai fait ces liens avec la nature, la pêche à la mouche que je pratiquais avec mon grand-père. J'ai voulu montrer un parallèle avec une nature qui s'éveille et une jeunesse pleine de sève qui se dresse contre l'occupant.»
L'araignée nazie
L'araignée du titre, c'est l'occupant, qui tisse sa toile, et quand, par instants, Carle dessine les soldats ainsi, comme l'officier descendant de sa voiture, mais c'est une hideuse patte d'araignée qui apparaît, c'est encore plus effrayant.
Ce livre n'a pas été facile à faire pour l'auteur. «Le sujet reste sensible et dans ma famille, on craignait que cela puisse réveiller des traumatismes familiaux, avec les voisins d'en face qui avaient choisi le camp de l'occupant. Dessiner cet album a été un grand moment d'émotion, j'ai fait une deuxième fois connaissance avec mon grand-père, disparu avant d'avoir pu me raconter tout cela.»
Mais l'accueil a été bon. «Les réactions ont été fortes en Alsace, où l'album a suscité beaucoup de curiosité. Moi qui avais peur de trahir, qui me sentait écrasé par la responsabilité envers mon grand-père, aujourd'hui je me sens bien et me dis que c'était la chose à faire.»
Le livre parle également d'une destruction de la nature, l'Alsace n'étant plus ce qu'elle était, l'industrie ayant notamment bouleversé le paysage autour du Rhin. «C'est ce qu'on appelle une solastolgie, un sentiment de détresse et d'angoisse ressenti face aux dégradations subies par l'environnement.» Se battre pour savoir à qui est cette terre est une chose, se battre pour la préserver en est une autre, sans doute encore plus essentielle.