CommentaireGaza: la Suisse mégote pendant que la population agonise
Tandis que la situation à Gaza est un enfer, la Suisse se tâte toujours pour 20 millions de francs.
- par
- Eric Felley
Lundi, à l'ONU, la délégation suisse a participé à l'acceptation de la résolution exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Dans un message diffusé sur X, le Département fédéral des affaires étrangères était fier de son rôle dans cette opération: «La Suisse a œuvré sans relâche avec les membres du Conseil pour faire adopter cette résolution cruciale, vu la situation humanitaire catastrophique à Gaza».
Pendant ce temps à Berne, la classe politique est toujours en train de mégoter au sujet des 20 millions de francs que la Suisse avait promis à l'organisation onusienne d'aide aux réfugiés palestiniens, l'UNWRA. Lundi et mardi la Commission de politique extérieur du National a auditionné Mirjana Spoljaric Egger, présidente du Comité international de la Croix-Rouge, et le Suisse Philippe Lazzarini, qui est à la tête de l'UNWRA.
«Famine imminente»
Les deux ont décrit une région totalement ravagée, où toute la population dépend de l'aide humanitaire. M. Lazzarini a parlé de la «situation catastrophique qui règne à Gaza, notamment la famine imminente et l’impossibilité pour la population civile de se mettre à l’abri des combats». Pour lui, et pas seulement pour lui, seul l'UNWRA peut encore venir en aide à cette population.
Mais voilà, avant le 7 octobre, l'UNWRA était déjà suspecte aux yeux de certains à Berne. Durant la discussion sur le budget 2024, l'octroi de ces 20 millions a fait l'objet d'un long marchandage. Finalement, l'argent restait disponible pour 2024, sous condition. Mais voilà qu'Israël a dénoncé le fait que, parmi les assaillants du 7 octobre, se seraient trouvées douze personnes travaillant pour l'UNWRA (qui en emploie 30'000).
Un rapport pour le 20 avril
Une majorité de parlementaires à Berne demande à ce que la lumière soit faite sur les bénéficiaires de l'argent au Proche-Orient avant de sortir le premier sou. Certains pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou l'Allemagne ont suspendu leur soutien financier à l'institution onusienne. D'autres, comme la Norvège, l'Irlande, l'Espagne ou la Belgique l'ont maintenu. Un rapport de l'ONU sur le rôle de l'UNWRA lors de l'attaque est attendu pour le 20 avril.
Hier, la commission du National a décidé de ne rien décider pour la contribution suisse de 20 millions. Ou plutôt, elle a décidé d'«approfondir ces questions lors de sa prochaine séance, notamment en procédant à l’audition d’autres cercles intéressés». Pourtant, c'est maintenant que la population civile palestinienne déplacée, assiégée et affamée à Rafah a besoin de soutien et d'assistance.
L'urgence du terrain
Dans la résolution votée lundi par la Suisse à l'ONU, outre le cessez-le-feu immédiat, figure aussi «la protection de la population civile et la garantie de l'accès de l'aide humanitaire». Cette résolution «s'attaque aux besoins les plus urgents sur le terrain et doit être mise en œuvre sans délai, ceci dans la perspective d'un cessez-le-feu durable et soutenu», ajoute le DFAE dans un communiqué.
Mais, à l'urgence du terrain défendue à l'ONU, la Berne fédérale oppose la «complexité» du dossier. Aux yeux du monde, nous sommes les champions de l'humanitaire, mais entre nous, nous n'arrivons pas à nous décider pour 20 millions.
Israël déjà fâché
On comprend que derrière cet attentisme du Parlement et du Conseil fédéral, se trouve le souci de ménager Israël et ses soutiens à Berne. Mais, de toute façon, la résolution appuyée par la Suisse lundi a déjà fâché Israël, qui continue cependant de bombarder la bande de Gaza. Face à tant de souffrances maintes fois étayées, l'attentisme helvétique a quelque chose de calculateur et d'un peu navrant.