FranceSanctionné après une Une sur Macron
Le directeur de la rédaction de «La Provence» Aurélien Viers a été mis à pied pour un titre jugé ambigu.
Le directeur de la rédaction de «La Provence» a été sanctionné vendredi après une Une sur la visite du président Emmanuel Macron à Marseille, jugée ambiguë.
«Il (Emmanuel Macron, ndlr.) est parti et nous, on est toujours là...» titrait jeudi le journal basé à Marseille, reprenant les mots d’un habitant cité en page intérieure.
Un titre surmontant une photo montrant deux personnes, de dos, regardant passer des policiers en patrouille dans une cité paupérisée de Marseille. Cela se passe 48 heures après la visite surprise mardi du président de la République, pour une opération «place nette XXL», décrite comme sans précédent contre le narcotrafic.
À la suite à cette publication, le directeur de la rédaction Aurélien Viers a été mis à pied pour une semaine, a indiqué la direction, confirmant une information du syndicat SNJ majoritaire dans l’entreprise, qui évoque également une convocation pour entretien préalable à licenciement, ce qui est la règle en la matière, sans préjuger de l’issue.
«Plus profondes excuses»
Dans un encart «À nos lecteurs» publié vendredi en Une du quotidien, le directeur de la publication, Gabriel d’Harcourt, présente les «plus profondes excuses» du journal pour cette Une, qui a «induit en erreur nos lecteurs».
«Cette citation en Une et la photo d’illustration qui l’accompagnait ont pu laisser croire que nous donnions complaisamment la parole à des trafiquants de drogue décidés à narguer l’autorité publique, ce qui ne reflète en rien les valeurs et la ligne éditoriale de votre journal», écrit-il.
En pages intérieures, dans un des articles sur les suites de la visite présidentielle, titré «La Castellane, le jour d’après», cette citation était cependant attribuée à un habitant de cette cité excentrée et gangrenée par la violence du narcotrafic: «C’est drôle, réagit Brahim, hier (mardi) ils ont trouvé tous les moyens nécessaires pour encadrer la visite du président. Il est parti, et nous on est toujours là, dans la même galère».
D’autres articles évoquaient la «guérilla sur le terrain de la com’» entre dealers et ministère de l’Intérieur, ou «les coulisses d’un show présidentiel improvisé».
Mais même si la citation est correctement attribuée en page intérieure, «le problème vient de la construction de la Une», a déclaré M. d’Harcourt, jugeant celle-ci «ambiguë» et pouvant «entraîner cette interprétation», notamment avec un surtitre «Narcotrafic: 24 heures après la visite du président à la Castellane».
«Le reste du traitement rédactionnel est très bon», a-t-il assuré.
Grève illimitée votée
La décision a «scandalisé la rédaction», selon une représentante du SNJ. Les journalistes du quotidien régional ont voté vendredi à 79% pour une grève illimitée.
Le journal ne paraîtra pas à partir de samedi. «C’est une ingérence éditoriale inadmissible, on ne peut pas laisser passer cela», a réagi auprès de l’AFP Audrey Letellier, déléguée syndicale du Syndicat national des journalistes (SNJ), majoritaire au sein de la rédaction.
Interrogé par l’AFP, M. d’Harcourt a réfuté toute pression. «C’est une décision que je prends, avec Jean-Christophe Tortora (patron de WhyNot Media, la filiale médias de l’armateur CMA CGM) et Laurent Guimier (patron de l’information de WhyNot Media)», a-t-il dit.
Rachat de BFMTV et RMC
L'armateur CMA CGM et son patron, le milliardaire Rodolphe Saadé, ont manifesté ces dernières années de grandes ambitions dans les médias. Sa femme Véronique Albertini-Saadé est la présidente non exécutive de WhyNot Media.
En octobre 2022, l’armateur est devenu propriétaire du groupe La Provence (quotidiens régionaux «La Provence» et «Corse Matin»). Il est entré fin 2022 au capital du groupe audiovisuel M6, puis, début avril 2023, à celui du média vidéo en ligne Brut, avant de prendre le contrôle de «La Tribune» via le rachat du groupe Hima de M. Tortora.
Et vendredi dernier, il a annoncé le rachat d’Altice Media, qui comprend BFMTV et RMC.
Les syndicats d’Altice Media ont indiqué être en contact avec leurs homologues de «La Provence» et «La Tribune» pour une possible action commune. «On est tous évidemment scandalisés», a expliqué à l’AFP Paulina Benavente, déléguée syndicale SNJ chez Altice Media. Une AG était prévue à «La Tribune» vendredi, selon une source à la rédaction.