Bande dessinéeLa glaçante adaptation d'un des romans les plus noirs de Simenon
Avec Fromental, Yslaire, l'auteur de «Sambre», a su donner une vie de papier à «La neige était sale», sorte de «1984» du père du commissaire Maigret.
- par
- Michel Pralong
Au deuxième volume seulement, on peut déjà dire que la collection des adaptations des romans durs de Georges Simenon est exceptionnelle. Les romans dits «durs» sont ceux que l'auteur belge avait un peu plus de difficulté à accoucher, contrairement à ses Maigret. Après «Le passager du Polarlys», voici donc «La neige était sale».
Quel roman! Et quelle adaptation! Elle est signée cette fois par Jean-Luc Fromental, l'un des deux scénaristes de la collection et a été confiée à Bernard Yslaire, devenu célèbre avec sa série «Sambre». L'album est sorti en janvier, mais nous avons attendu la venue de ce dernier au Salon du Livre de Genève pour en parler avec lui.
Yslaire s'est inspiré de Budapest
«Comme tout Belge, j'ai lu Hergé et des romans de Simenon, nous raconte le dessinateur. Jean-Luc m'avait d'abord proposé «Les clients d'Avrenos». Mais il se déroule à Istanbul, ville que je ne connais pas et, comme dans Simenon les lieux sont des vrais personnages, il faut en être familier. Alors, il m'a suggéré «La neige était sale». Je ne l'avais pas lu, je m'y suis mis et à la moitié, j'ai dit d'accord, emballé. Je n'ai pas voulu lire la suite pour garder le mystère.»
Ce récit est étonnant. Il fait penser un peu au «1984» d'Orwell, dans le sens où il se situe dans une ville sous occupation, sans que l'on sache ni qui est l'occupant, ni de quelle ville il s'agit. «Il y a un air de Liège dans le roman, mais surtout d'une ville des pays de l'Est. Je suis donc allé à Budapest où les Croix fléchées fascistes soutenant Hitler ont pris le pouvoir avant d'être arrêtées et jugées par les Soviétiques. Les deux bords ont donc été incarcérés et torturés dans un même lieu, sinistrement intitulé aujourd'hui la Maison de la Terreur.» Voilà qui pouvait donc mêler nazis et Soviétiques dans le récit.
Décors, costumes, mais aussi langue écrite sur les affiches sont donc très inspirés de la Hongrie. Même les couleurs rappellent le drapeau hongrois, avec un noir et blanc où rouge-rose et vert uniquement colorent ces paysages toujours enneigés.
Frank, un Tintin version dark
Restait à trouver comment incarner le personnage principal, le jeune Frank. Fils d'une tenancière de bordel, c'est un privilégié, qui mange à sa faim, a chaud et peut même mettre les employées de sa mère dans son lit. Il promène son insupportable nonchalance et arrogance dans les bars. «J'ai pensé à en faire physiquement un Tintin version dark et zazou, avec des cheveux aussi blancs que la neige.»
Ce qui est terrifiant dans ce roman, c'est cette mécanique implacable, inexorable, qui entraîne Frank à commettre le pire, sans aucun remord. Il tue de sang froid et lorsqu'on imagine qu'il va tomber amoureux, il souille l'innocence de la pire des façons. «Jean-Luc me dit qu'il y a une forme de rédemption à la fin, ce qui est rare chez Simenon, mais bon, ce n'est pas si évident. Ce qui est fascinant, c'est que le récit est en «tu», qui s'adresse à Frank, comme quelqu'un se trouvant derrière lui. Après, évidemment, quand j'ai appris que Simenon a écrit ce roman aux États-Unis après avoir la mort de son frère, Rexiste pendant la guerre qui s'était «racheté une vertu» en allant combattre en Indochine où il a été tué, cela donne un éclairage au livre. Mais ce n'est pas indispensable de le savoir pour être glacé par ce roman.»
Il s'agit bien dans celle collection d'adaptations et non de mises en images des romans. «C'est très important, il faut que les codes de la BD transforment le texte. Le défi, c'est comment dessiner les silences, le mystère. Dans ce roman, tout est indistinct, rempli de non-dits et c'est cela qu'il fallait rendre. Cette collaboration avec Jean-Luc est la plus belle que j'aie eue.»
Et puis ce titre, formidable, «La neige était sale», alors que lorsqu'on parle de la neige dans le livre, ce n'est que pour dire qu'elle est blanche, immaculée. «Oui, cela peut avoir beaucoup d'interprétations, la noirceur du personnage sous son air angélique, ou celle du monde. John Simenon, fils de Georges et à l'origine de cette collection, avait pleuré en lisant ce roman. Il m'a dit avoir pleuré en découvrant la dernière case de l'album. Il n'y a pas plus beau compliment.»