Cinq jours de folieIl y a une année, Credit Suisse entamait sa chute finale
À partir du 14 mars 2023, la crise de confiance a été fatale à l'illustre banque. Cinq jours plus tard, c'était fini.
- par
- Eric Felley
L'année dernière, lors de la troisième semaine de la session de printemps du Parlement, la panique allait s'emparer de la Berne fédérale pour atteindre son paroxysme le dimanche suivant. Le 19 mars, le Conseil fédéral annonçait le rachat de Credit Suisse par l'UBS. Cette issue brutale avait pris de court tout le monde au Parlement, tandis que le Conseil fédéral et la cheffe des finances fédérales, Karin Keller-Sutter, travaillaient en coulisses pour régler l'affaire.
L'action dévisse de 24%
Un peu avant, le 10 mars, la faillite de la Silicon Valley Bank dans la Californie lointaine allait faire office d'effet papillon. Le mardi 14 mars, Credit Suisse avait publié son rapport annuel, avouant des «faiblesses importantes» dans ses contrôles financiers et annonçant la suppression des primes pour le conseil d'administration. Le lendemain, dans la matinée, le président de la Saudi National Bank affirma, sur Bloomberg TV, que son établissement ne sortirait plus un sou pour aider la banque suisse. Son action a alors dévissé de 24% dans la journée.
50 milliards de la BNS
Le 15 mars en fin de journée, la Banque nationale suisse (BNS) avait annoncé un prêt de 50 milliards de francs pour calmer les esprits. Le jeudi, cette annonce provoqua un sursaut du titre. On a cru un instant que tout irait bien pour Madame la Marquise. Mais le mal était plus profond et l'action est repartie en sens inverse. De gros clients ont quitté la banque avec des dizaines de milliards, la confiance avait disparu.
Dès le 16 mars, la BNS, la FINMA et le Conseil fédéral ont travaillé à une prise de contrôle de Credit suisse par UBS. Le Parlement était tenu à l'écart de ces rencontres et autres tractations. Le dimanche 19, le rachat était annoncé pour 3 milliards de francs. Pour consolider l'opération, la BNS et la Confédération avait mis discrètement pour 200 milliards de francs de garanties. Après 167 ans de bons et loyaux services, Credit Suisse avait vécu.
En attendant la CEP
Une année après, à la même période, c'est le calme plat dans les couloirs du Palais fédéral, où les parlementaires ont bien d'autres préoccupations. Depuis que les Chambres ont décidé d'une Commission d'enquête parlementaire (CEP), dirigée par la conseillère aux États Isabelle Chassot (C/FR), la page semble tournée. En tout cas, le rachat de la deuxième grande banque est acté dans les esprits. Quelles que soient les conclusions de la CEP, the show must go on, comme on dit en pareilles circonstances. Et puis les garanties n'ont jamais été utilisées. La Confédération a même encaissé 200 millions de francs pour ce service.
«Emotionnellement atteints»
Samuel Bendahan (PS/VD) se souvient de cette fin de session très spéciale l'année dernière: «On avait l'impression que la Suisse et sa place financière étaient super fortes, l'idée qu'une banque puisse tomber en si peu de temps était devenue quasi impossible dans l'esprit des gens... Cela s'est passé très vite. Chaque jour, chaque heure, il y avait des nouvelles, de l'argent qui arrivait, des inquiétudes... Jusqu'au moment où l'on a compris que le Conseil fédéral était en fait en urgence en train de se réunir pour faire un plan de sauvetage, qui était hors de proportion. C'était le choc chez nous, les gens étaient émotionnellement atteints».
Le socialiste vaudois se souvient de la colère aussi: «On s'est dit que les banques pouvaient faire n'importe quoi, sans qu'il n'y ait jamais de sanction. Au Parlement, il n'y avait pas d'argent pour tant de choses, mais la Suisse allait risquer des milliards pour sauver ses banques en quelques secondes. Cela a choqué et marqué la population».
La crainte d'une crise majeure
Plus tard, Karin Keller-Sutter a justifié cet engagement financier massif de la Confédération. Lors du Forum du «Temps», le 1er février dernier, elle a résumé une fois de plus son contexte: «Le système financier global était déjà fragilisé par la faillite de plusieurs banques régionales américaines et Credit Suisse était le prochain maillon faible. Si une faillite de Credit Suisse n’était pas évitée, on craignait une contamination sur UBS et le déclenchement d’une crise internationale».
UBS: une épée de Damoclès
Pour Samuel Bendahan, ce rachat constitue toujours une menace: «La première des conséquences est l'immense risque que fait peser la nouvelle UBS sur la Confédération et l'absence encore d'une réelle régulation sur le sujet. On a là une immense épée de Damoclès qui pourrait tomber à n'importe quel moment. Des mesures importantes devraient être prises pour éviter que la population soit en danger en cas de nouvelles crises bancaires».
Business as usual
Après le 19 mars 2023, toute la classe politique s'est insurgée contre les dirigeants de Credit Suisse et d'une manière générale contre un système bancaire peu transparent. En avril 2023, une session extraordinaire a traité de nombreuses propositions pour améliorer le système. Mais pour l'instant, au Parlement, toute cette matière demeure en stand by. Le Conseil fédéral a promis un rapport sur la crise pour le mois d'avril.
Mercredi, le Conseil national a toutefois accepté une motion de l'UDC, qui demande que les cadres supérieurs d'une banque d'importance systémique remboursent 50% de leurs revenus des dix dernières années si leur établissement devait être sauvé par l'État. Il y a très peu de chances que cette proposition extrême passe la rampe du Conseil des États.
Les groupes politiques attendent finalement les conclusions de la CEP, promises au mieux pour la fin de l'année. Pendant ce temps, le monde bancaire a repris son rythme, business as usual...