MédecineAvoir une mère obèse favoriserait le cancer du foie
Une étude genevoise sur des souris montre qu'une mère nourrie trop gras fait courir un risque à ses petits. À vérifier sur l'homme.
![Un groupe de souris a été nourri normalement, l'autre avec de la junk food. Un groupe de souris a été nourri normalement, l'autre avec de la junk food.](https://media.lematin.ch/4/image/2024/03/12/4cbac2b3-1084-4f61-b179-c14e2888231f.jpeg?auto=format%2Ccompress%2Cenhance&fit=max&w=1200&h=1200&rect=0%2C0%2C4000%2C2738&fp-x=0.64525&fp-y=0.5504017531044558&s=1cf16935d16a82329205b30d82d462dd)
Un groupe de souris a été nourri normalement, l'autre avec de la junk food.
Getty Images/iStockphotoLa communauté scientifique soupçonne l’obésité maternelle de perturber l’équilibre métabolique de l’enfant à naître, et même d’augmenter les risques de cancer pédiatrique et de cancer colorectal à l’âge adulte. Mais dans quelle mesure?
«Nous voulions comprendre si les enfants de mères souffrant d’obésité avaient un risque plus important de développer des maladies et par quels mécanismes biologiques», explique Christian Toso, professeur ordinaire à la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) et médecin-chef du Service de chirurgie viscérale des HUG, qui a dirigé des travaux portant sur la question. «En effet, si le risque de cancer du foie dû à un virus hépatique diminue, les maladies du foie liées à l’obésité sont en augmentation constante.»
Souris nourries à la junk food
Les scientifiques ont étudié deux groupes de souris femelles: le premier nourri avec un régime riche en graisse et en sucre, proche de la junk food, est devenu obèse rapidement. Le second, le groupe contrôle, nourri normalement. Les individus nés de ces deux groupes ont ensuite tous reçu un régime normal et n’étaient pas en surpoids. La seule différence était donc l’obésité maternelle du premier groupe.
«À 20 semaines, ce qui correspond à l’âge adulte chez les humains, il n’y avait pas de différences notables», détaille Beat Moeckli, chef de clinique et chercheur dans l’équipe du professeur Toso, premier auteur de ces travaux parus dans la revue «JHEP Reports». «En revanche, à 40 semaines, un âge senior chez les souris, la santé hépatique du premier groupe a commencé à se dégrader. Tous les paramètres de la maladie de foie, dépôts de graisse, fibroses, lésions avancées du foie ou encore inflammation, étaient notoirement plus élevés chez les descendants des mères souffrant d’obésité. Or, ce sont les principaux facteurs de risque de cancer du foie chez l’être humain.»
80% de risques de cancer en plus
Afin de confirmer si ces souris avaient un risque plus élevé de développer un cancer du foie, l’équipe a injecté à deux groupes de ces souris un produit cancérigène juste après le sevrage. Et effectivement, les descendants des mères souffrant d’obésité avaient 80% de risques de développer un cancer, contre 20% pour le groupe contrôle. «L’obésité de la mère a ainsi un impact bien après la naissance de ses descendants, qui semblent hériter d’un dysfonctionnement métabolique en dépit de leurs propres conditions de vie», analyse Beat Moeckli. «Or, l’obésité altère la composition et la diversité du microbiote de la mère, qui est transmis à la génération suivante et perdure tout au long de la vie.»
Cependant, en plaçant des souris issues des deux groupes dans une même cage, les scientifiques ont observé une normalisation du microbiote. Les souris étant coprophages (elles mangent leurs propres excréments), elles partagent rapidement les mêmes souches microbiotiques. La diversité bactérienne augmente alors et favorise les bonnes bactéries. Le microbiote sain reprend ainsi naturellement le dessus, et les marqueurs de maladies du foie diminuent fortement.
«On voit un effet clair du microbiote sur le risque de développer un cancer du foie, ce qui indique le rôle central de celui-ci dans la transmission du risque de maladie de la mère à l’enfant.» Le régime junk food favorise la prolifération de mauvaises bactéries et diminue la diversité bactérienne. Ce microbiote altéré, transmis au moment de la naissance, entraîne alors une inflammation plus importante dans le foie et génère, au fil du temps, une fibrose et une stéatose (une présence excessive de graisse), qui à leur tour augmentent le risque de développer un cancer du foie. La normalisation du microbiote normalise également le risque de cancer.
L'importance du microbiote ouvre des perspectives
Ces données proviennent d’une étude sur un modèle animal, dans un environnement très contrôlé. Afin d’en tirer des conclusions applicables dans un contexte clinique, il faudra les confirmer sur l’être humain en conditions de vie réelles. Une première étape consistera en une étude épidémiologique sur de larges corpus de données issues du suivi des mères et de leurs enfants sur plusieurs décennies. «Il est cependant déjà possible de modifier le microbiote, au travers notamment de probiotiques. Le fait d’avoir mis en évidence son importance dans ce mécanisme ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques», concluent les scientifiques.