Bande dessinéeLe destin des fusillés de l'affiche rouge
Après l'entrée au Panthéon de Manouchian et de sa femme, Morvan et Tcherkézian évoquent toute la bande. Interview.
- par
- Michel Pralong
Le 21 février, le résistant Missak Manouchian et son épouse Mélinée sont entrés au Panthéon. Eux seuls, mais ils sont le symbole des 23 autres membres du groupe fusillés avec leur chef au Mont-Valérien le 21 février 1944. Qui étaient ces autres résistants, ainsi que Golda Bancic, leur «armurière», qui fut, elle, guillotinée le 10 mai 1944 en Allemagne, car exécuter des femmes en France était «mal vu»?
«C'est exactement ce qu'a voulu raconter Jean-David Morvan, mon scénariste dans «Les fusillés de l'affiche rouge», nous explique le dessinateur Thomas Tcherkézian, rencontré au Salon du Livre. Depuis qu'il a fait la connaissance de la Résistante Madeleine Riffaud, Morvan s'est passionné pour le sujet et a multiplié les albums. Comme il a su très tôt que Manouchian et Mélinée allaient entrer au Panthéon, il a décidé de dresser un portrait de tous ceux de l'affiche, mais aussi de tous ceux du groupe qui ont été exécutés.»
Des portraits façon Harcourt
Le scénariste s'est alors mis en quête d'un dessinateur, arménien si possible.« Moi qui n'avais jamais fait de BD, mais des illustrations, il est tombé sur mon profil sur LinkedIn et m'a confié ce livre.» Et pour un premier album, le résultat est bluffant, avec des dessins d'un réalisme cru, en ligne claire. Le récit est agrémenté de portraits des 26, les 24 plus le couple Manouchian.
D'eux, aujourd'hui, on connaît les photos anthropométriques des services de police, sinistres, prises après leur capture et avant les séances de torture. «Mais avec Jean-David, nous avons eu l'idée de les faire façon studios Harcourt (célèbres pour ses magnifiques portraits en noir et blanc, ndlr), en s'inspirant des photos de police, mais en leur rendant leur dignité, leur fierté.»
Les attentats commis par ces jeunes résistants issus de l'immigration, mais qui ont donné leur vie pour la France, sont soigneusement documentés. «Jean-David a une masse de documents énormes et je voulais me rendre sur certains lieux, comme j'habite Paris, mais finalement je n'ai pas eu le temps. J'ai commencé la première planche en juin 2023 et vu la date de l'entrée au Panthéon, pour laquelle l'album devait être prêt, j'en ai fait une à deux par jour. Ce qui ne m'a pas non plus laissé le temps de douter, alors que c'était ma première BD.»
Le choix des couleurs est judicieux: «Il fallait le rouge de l'affiche, son gros-bleu aussi et du jaune, donnant un air sépia aux images. Pour donner plus de relief à cette ligne claire, nous avons opté pour ce tramage avec des grains. »Les explosions, en jaune, mais sans onomatopées décrivant les «boum» ou «bang», sont particulièrement réussies. Et Charles Aznavour qui, avec sa famille, a beaucoup aidé les Manouchian est, comme tous les autres, très ressemblant.
Une couverture proche de l'affiche
Pour la couverture, étrangement, ni Tcherkézian ni Morvan n'avaient songé à un dérivé de l'affiche. «Nous avions pensé à Missak et Mélinée, mais notre éditeur nous a dit: «mais non, il faut partir de l'affiche, c'est un choc visuel». Il avait parfaitement raison.»
Thomas l'avoue, pour ce jeune dessinateur de 23 ans, le plus difficile a été de représenter le génocide arménien dont a réchappé Missak et d'autres de ses camarades. «Ce sont mes racines, mais j'avoue que malgré ce travail, je n'ai pas encore eu la force d'avoir la curiosité de me plonger dans cette histoire, que je connais mal». C'est aussi cela, la force de ce groupe Manouchian, ils venaient tous de peuples martyrisés et sont entrés en résistance pour ne pas revivre cela, pour combattre ceux qui voulaient les priver d'une vie et d'une liberté que la France, terre d'accueil, leur avait offert.
«Un truc de fou»
«J'ai eu beaucoup de réactions de résistants ou de descendants de résistants, suite à cette BD. Et ma famille arménienne est très très fier que j'aie signé cet album sur Manouchian. C'est un truc de fou, je ne pouvais pas m'attendre à l'impact de cette BD, Morvan m'avait pourtant dit, prépare-toi une certaine notoriété. Je lui dois beaucoup: faire une entrée comme cela dans le métier, c'est incroyable! Et tout ce que j'ai appris avec lui.»