Bande dessinéeComment faire de sa maladie un chef-d'œuvre
Jean-Christophe Chauzy raconte son enfer avant la greffe qui lui a sauvé la vie. C'est bouleversant, beau et passionnant.
- par
- Michel Pralong
Quand la BD est vraiment devenue populaire, au milieu du siècle dernier, on y lisait surtout des aventures de pirates, de cow-boys, de reporters ou de chevaliers. Ce qu'on a appelé les romans graphiques sont arrivés plus tard, avec des Tardi et des Comès. Et puis, certains se sont dits qu'on pouvait également parler de soi en BD.
Aujourd'hui, on ne compte plus les autobiographies, même de la part de jeunes auteurs qui débutent et qui n'ont pas forcément vécu grand-chose. La BD est également devenue le lieu de tous les témoignages: sur son homosexualité, sa grossesse, sa jeunesse en Syrie, au Liban, au Brésil, sur son harcèlement, son burn out ou ses addictions.
Une jeune autrice, interviewée par une télé française pour le dernier festival d'Angoulême disait que savoir dessiner n'était plus essentiel, c'était ce que l'on racontait qui comptait. Pourtant, dans BD, il y a «dessinée», et quand on le fait bien, ce n'est pas plus mal. Jean-Christophe Chauzy, lui, sait dessiner, et très très bien.
Un auteur au grand parcours
On lui doit depuis 35 ans quelques perles, dont «Un monde merveilleux», «Clara», «La guitare de Bo Diddley», «Le reste du monde» ou l'adaptation en BD de «L'été en pente douce», avec toujours un dessin extrêmement expressif. Et puis patatras, en 2020, on lui diagnostique une myélofibrose de niveau 3. Si on ne lui trouve pas un donneur pour une greffe de la moelle épinière rapidement, il risque une leucémie aiguë et la mort.
On vous dévoile la fin: cela sera sa sœur la donneuse et Chauzy va s'en tirer, mais vous vous en doutiez, puisqu'il sort cet album. Bon nombre avant lui ont raconté ce genre d'épreuves terribles en BD. Mais ce n'est pas ce que fait Chauzy. Lui, c'est de sa maladie qu'il va faire une BD et ce n'est pas la même chose. Maîtrisant parfaitement son art, il va mettre en scène, avec les codes et les moyens du genre, son expérience. Sa traversée de la douleur devient une formidable expérience visuelle. Les pensées les plus noires qui le traversent se transforment en une écriture subtile et forte.
C'est toute la différence entre le récit autobiographique d'un auteur et celui d'un grand auteur. Nous n'avons pas là un récit de plus, un témoignage qui se rangera à côté de tant d'autres dans une bibliothèque: Sang neuf est un chef-d'œuvre, né de la douleur et de l'intelligence, plein d'humanité et de reconnaissance. Raison de plus de se réjouir que Chauzy s'en soit bien sorti pour nous avoir donné cet album. Et encore bien d'autres, on l'espère.