InterviewDove Attia: «Molière sera ma dernière création»
Le nouveau show «Molière, le spectacle musical» sera à Genève le 30 mars. Son producteur revient sur ses succès et ses erreurs, sans langue de bois.
- par
- Fabio Dell'Anna
Dove Attia incarne une passion débordante et une curiosité insatiable. À peine installé dans la suite d'un hôtel genevois, il s'imprègne de la beauté du paysage, en prenant quelques photos, tandis qu'il échange sur le rachat de Credit Suisse. Son regard se pose sur une horloge de luxe accrochée au mur, mais il avoue avec un sourire malicieux ne jamais porter de montre. «Mon téléphone me suffit», dit-il.
Le producteur de comédies musicales révèle la même ferveur lorsqu'il évoque sa dernière création, «Molière, le spectacle musical». Celui qui a aussi été juré de «Nouvelle star» nous plonge dans l'univers du dramaturge français, qui renonce au confort matériel et au prestige d'être le tapissier du roi pour se consacrer à sa passion, aux côtés de son aimée. «Il m'a fallu des années d'efforts pour mettre en place tout cela», confie avec conviction le Franco-Tunisien de 66 ans à propos du spectacle qui s'arrête le 30 mars à l'Arena de Genève.
Vous avez fait une pause de huit ans avant de produire «Molière, l'opéra urbain». Pourquoi?
Je sentais que j'avais tout dit. Ma créativité stagnait dans un schéma bien établi: des spectacles grandioses, des décors somptueux, des costumes élaborés, des mélodies envoûtantes, mais aussi des dialogues qui brisaient parfois le rythme. J'avais le désir d'arrêter, alors j'ai pris la décision de tout stopper. J'ai entrepris des voyages et j'ai assisté à plusieurs spectacles aux États-Unis: «Come from Away», avec sa mise en scène révolutionnaire, et «Hamilton».
Ces comédies musicales ont été le déclic?
Absolument. À cet instant précis, Molière occupait mes pensées. J'ai fait sa rencontre à travers «Le Roi Soleil», où il introduisait le spectacle. Son existence était fascinante, une sorte de rockstar méconnue. Bien que ses œuvres soient célèbres, sa vie demeure largement méconnue. Je voulais moderniser son récit. Trois années durant, j'ai travaillé sans relâche avec mon équipe, nuit et jour.
Et ça a payé...
Au début, le spectacle a eu du mal à trouver son public. Le terme «opéra urbain» a fait peur. Certains ont pensé qu'il s'agissait de rap, alors qu'il s'agit en réalité de chansons époustouflantes et de dialogues poétiques. La première représentation n'a pas suscité un grand engouement. Puis, les critiques des médias ont été toutes positives. Le bouche-à-oreille, amplifié par les réseaux sociaux, a rapidement rempli les salles. «Molière» a fini par triompher à Paris et nous sommes désormais prêts pour notre tournée.
Est-ce que Molière aurait été un slammeur aujourd'hui?
Quand il parle, il est dans le slam, oui. C'est très poétique et élégant. Il ne s'exprime qu'avec des rimes, le tout sur de la musique. Cela donne un côté très moderne. La particularité de ce spectacle est qu'il est feel good. C'est mon premier show drôle. Je sais que certaines personnes sont venues le voir déjà dix fois.
Vous avez le sens du buzz: vous avez, par exemple, proposé à Julien et Héléna de la dernière saison de «Star Academy» de participer à quelques shows.
Ce n'était pas calculé. Les élèves de «Star Academy» étaient présents pour observer le déroulement du spectacle. Ils ont été tellement emballés qu'ils ont partagé leur enthousiasme sur les réseaux sociaux. L'idée de les inviter sur scène avant leur propre tournée m'est venue à l'esprit lors de ma masterclass avec eux. Après cette rencontre, je me suis retrouvé dans la merde, réalisant qu'il me faudrait au moins trois jours de répétitions pour les intégrer à quelques séquences du spectacle. (Rires.) Finalement, tout s'est déroulé à merveille.
Cela vous tient à cœur de donner une chance à des débutants?
Je le fais depuis le début. Christophe Maé, avant son ascension fulgurante, était un débutant. Il en va de même pour Emmanuel Moire, Daniel Levy, Yaël Naïm... Même à «Nouvelle Star», lorsqu'ont éclos Julien Doré ou encore Christophe Willem. Je ne forge pas les talents, je leur offre simplement une voie pour s'épanouir et se révéler.
Quel est l'endroit le plus inhabituel où vous avez découvert un talent?
Dans un bar, en Corse. Il y avait un type en train de chanter à tue-tête en anglais. Il avait une manière unique de se produire. On discutait entre amis, tentant de charmer quelques filles, et dès qu'on détournait notre attention, il se mettait à rugir pour attirer l'attention. Il voulait qu'on l'écoute! J'ai arrêté de parler, je suis allé le voir à la fin de son set et je lui ai dit qu'il jouerait dans ma prochaine comédie musicale (ndlr.: «Le Roi Soleil»). Il s'appelait Christophe Maé.
Avez-vous regretté certains castings?
Bien sûr, parfois, on fait des erreurs. Souvenez-vous de «Nouvelle Star»: je me suis planté à propos d'Amel Bent. J'étais exténué et je lui ai dit qu'elle avait une voix de karaoké. Après son deuxième passage, j'ai dit à mes amis: «Qui est cette fille? Elle a un talent incroyable!» Et devinez quoi? C'était celle que j'avais qualifiée de chanteuse de karaoké. Nous ne sommes pas toujours au sommet de notre forme, nous faisons des erreurs. Dans mes castings précédents, je me suis planté sur six ou sept artistes d'une troupe. Je dirais que sur «Molière, le spectacle musical» et «Les dix commandements», je n'ai commis aucune faute.
«Molière, l'opéra urbain» et «Les dix commandements» sont les comédies musicales dont vous êtes le plus fier?
Ce n'est pas moi qui le dis. Les personnes qui me suivent depuis le début m'ont répété que «Molière» est mon plus beau spectacle. C'est une satisfaction énorme, car c'est sûrement mon dernier show. J'en ai vraiment chié pour arriver à ce résultat. Il y avait quinze comédies musicales à Paris, c'était la seule création. Terminer sur mon meilleur spectacle, c'est le plus beau des bonheurs.
Vous arrêtez?
La comédie musicale, oui. Je vais peut-être revenir avec des anciens spectacles, mais je ne vais plus en créer de nouveau. C'est trop dur.
On retrouve un peu de vous dans toutes vos comédies musicales.
Oui, lorsqu'on observe mes spectacles, on remarque mon penchant pour les héros: Mozart, Moïse, Louis XIV... Tous ont une revanche à prendre sur la vie. Molière, par exemple, cherche sans cesse la reconnaissance de son père. Ces personnages partagent une enfance marquée par des failles, des doutes et parfois même des souffrances. Je m'identifie à eux. J'ai vécu des rendez-vous manqués avec mon père, qui m'a aimé à sa manière. Il ne m'a jamais adressé de compliments, ni même un simple «je t'aime». En racontant leurs histoires, je partage un peu de la mienne. Bien que nos destins diffèrent — eux étant des génies — je trouve une résonance dans leurs expériences.
Selon vous, quelle est la plus belle des reconnaissances?
J'ai toujours eu du mal à accepter des compliments, car mon père n'en faisait jamais. Cela me met mal à l'aise. Quand une production remporte un succès, j'ai toujours cette crainte que cela puisse s'arrêter brusquement. Aujourd'hui, j'ai fondé une nouvelle famille, et mes enfants de 8 et 10 ans ont assisté à mon spectacle. Leur reconnaissance est ce qui m'a le plus touché. Avec «Molière», c'est la première fois que je me sens serein. Je commence à profiter et je me dis que j'ai réussi quelque chose.
Le spectacle «Molière» sera la 30 mars à l'Arena Genève. La billetterie est ouverte.