Guerre d’AlgérieLe débat sur la responsabilité de la France dans la torture relancé
Plusieurs ONG et associations, notamment d’anciens combattants, demandent que ce sujet ultra-sensible soit désormais «regardé en face».
Une démarche d’«apaisement». Plusieurs ONG et associations, notamment d’anciens combattants, ont demandé lundi la reconnaissance par l’Etat français de sa «responsabilité» dans le recours à la torture durant la guerre d’Algérie (1954-1962), un sujet ultra-sensible qu’elles appellent à «regarder en face».
«S’engager dans la voie de la compréhension de l’engrenage répressif conduisant au recours à la torture, dont le viol est un instrument constitutif, n’est (...) pas un acte de contrition, mais un acte de confiance dans les valeurs de la nation», ont écrit une vingtaine d’organisations dans un dossier transmis à l’Élysée et présenté lors d’une conférence de presse.
Parmi ces auteurs figurent la Ligue des droits de l’homme (LDH) ou encore les «Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre».
La présidence française avait fait un premier pas dans cette direction il y a deux ans, à l’occasion d’un hommage aux combattants de la guerre d’Algérie.
«Nous reconnaissons avec lucidité que dans cette guerre» une «minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture», avait écrit l’Elysée dans un communiqué du 18 octobre 2022.
Une reconnaissance «importante» et «courageuse» mais incomplète car elle n’établit pas de chaîne de responsabilités, surtout au plus haut niveau de l’Etat, juge auprès de l’AFP Nils Andersson, président d’Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA), signataire de l’appel.
«Il ne s’agit ni de condamner ni de juger, mais de regarder l’Histoire en face, dans un souci d’apaisement», a-t-il plaidé. «Cela permettra de passer à la prochaine étape: comprendre comment cela a été possible et avancer dans le vivre ensemble. C’est important car la question algérienne est sensible dans l’opinion française».
Durant ce qui a longtemps été appelé les «événements» d’Algérie, «la torture comme système de guerre a été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements français, ce qui engage pleinement la responsabilité de l’Etat», ont estimé les organisations.
Sévices atroces
Elles en veulent pour preuve que la torture était «enseignée dès 1955» dans les principales écoles militaires comme Saint-Cyr et que ceux qui s’y sont opposés durant la guerre d’Algérie ont été «condamnés».
Dès 1958, le communiste Henri Alleg témoigne des tortures qu’il a subies de la part de l’armée française, dans un livre choc aussitôt interdit, «La Question». Plus de quatre décennies plus tard, le général Paul Aussaresses avouera avoir pratiqué la torture.
A l’appui de leur démonstration, ONG et associations, qui déplorent ne pas avoir été reçues par l’Elysée, ont publié des dizaines de témoignages de personnes torturées pendant la guerre qui a mené à l’indépendance de l’Algérie.
Ainsi de Hour Kabir, qui décrit sa détention d’octobre 1957 dans une lettre au procureur de la République de Lyon: «nous avons subi les sévices les plus atroces», affirme-t-il, énumérant le «supplice de la baignoire» ou des «applications électriques» sur «les parties génitales».
«Pour terminer cette séance, nous avons marché longuement les pieds chaussés de brodequins à l’intérieur desquels des pointes acérées nous transperçaient les pieds», poursuit cet homme.
Gabrielle Benichou Gimenez a expliqué à son avocat avoir abordé «sûre» d’elle l’épreuve en octobre 1956, après avoir déjà été torturée durant la Seconde guerre mondiale, en 1941. Elle assure avoir subi des coups de «flagellation», une «douche glacée en plein hiver» et des «coups de poing», le tout sans avoir «dit un mot».
«J’ai dû déchanter. Après onze heures de ces tortures, je ne tenais plus le coup», a-t-elle résumé.
Depuis 2022, Paris et Alger multiplient les efforts pour reconstruire une relation plus apaisée, en déminant progressivement les sujets de la colonisation et de la guerre d’Algérie.
Une commission d’historiens français et algériens a notamment été créée par les chefs des deux Etats la même année pour «mieux se comprendre et réconcilier les mémoires blessées», avait alors souligné l’Élysée.
Sollicitée par l’AFP, la présidence de la République n’a pas donné suite dans l’immédiat.