Editorial13e AVS: le jour où la Suisse s'est «romandifiée»
Cette victoire est celle d'une petite utopie dans un pays qui a souvent peur de tout.
- par
- Eric Felley
Très franchement, ces deux dernières semaines, on sentait que la dynamique du «non» à la 13e rente AVS était plus forte que celle du «oui». Des sondages à la baisse et une campagne massive pour le refus portaient à croire que cette initiative des syndicats allait finir comme tant d'autres dans les oubliettes. Qu'elle serait refusée par nos cousins alémaniques si frileux avec les politiques sociales.
Eh bien ce dimanche est à marquer d'une pierre blanche. Les cantons romands ont certes répondu présents. 82% de oui dans le Jura, 78% à Neuchâtel, 75% à Genève, 74% dans le canton de Vaud, 72% à Fribourg, 70% dans le Valais romand... Mais la surprise est venue des cantons alémaniques, qui ont basculé dans le camp du oui: Argovie, Glaris, Soleure, Schaffhouse ou les Grisons.
L'échec des anciens conseillers fédéraux
On peut dire que ce 3 mars, la Suisse s'est «romandifiée» et le röstigraben s'est arrêté aux petits cantons de la Suisse centrale, noyau dur du conservatisme helvétique, qui ont refusé l'objet. La campagne du non n'a pas ménagé ses efforts pour inverser la tendance des sondages. Elle a mobilisé les anciens conseillers fédéraux pour envoyer 700 000 courriers personnalisés pour voter non. Cela n'aura servi à rien. Au contraire, cette ingérence a très probablement eu un effet contraire.
Comme une petite utopie
Ce dimanche marque une victoire rare pour la gauche de ce pays. Certes, les référendums gagnants contre l'imposition des entreprises en 2017, ou contre la suppression du droit de timbre et de l'impôt anticipé en 2022, ont été des moments forts pour elle.
Mais l'introduction d'une 13ᵉ rente AVS est une victoire autrement plus forte pour quelque chose de très concret, qui doit se traduire dans le quotidien des gens en 2026. Elle est de l'ordre d'une petite utopie dans un pays qui a souvent peur de tout. Elle démontre la confiance des Suisses dans leur bonne étoile après de multiples crises: Covid-19, guerre en Ukraine, pénurie d'énergie, chute du Crédit suisse ou guerre au Proche-Orient.
L'épargne et l'avenir
Cette victoire intervient aussi dans un contexte, où l'alarmisme prévaut en matière de finances publiques, où plus rien n'est possible sauf pour l'armée ou l'agriculture. Mais une majorité du peuple est convaincue que la Suisse est un pays qui a les moyens d'augmenter les retraites, qui croit en l'épargne et en l'avenir. Accessoirement, c'est un formidable pied de nez à la droite qui a remporté les élections en octobre dernier et qui se retrouve déconnectée de sa base.