ValaisManuella Maury dit adieu à son restaurant
La journaliste et sa famille se sont résolues à se séparer de leur établissement de Mase, fermé depuis janvier.
- par
- Michel Pralong
«C'est la fin d'une histoire, la fin d'un combat», reconnaît Manuella Maury. Le 7 janvier, un jour avant les 53 ans de la journaliste, le Vieux-Bourg, à Mase, fermait ses portes. Le village n'a donc plus de restaurant pour l'instant. Le couple italien qui gérait l'établissement, Arianna et Ivano, ont décidé de consacrer plus de temps à la famille. Mais les propriétaires, ce sont les Maury. Manuella et ses trois sœurs, ainsi que leur maman, Germaine, 86 ans. Sauf que cette fois, elles ne chercheront pas un nouveau chef pour faire vivre l'enseigne: elles vendent.
«Sur son lit de mort, en 2016, mon père nous avait dit: «Vendez!» Mais nous nous sommes obstinées, nous nous sommes battues. Le comble, c'est que le restaurant est entré au Gault&Millau en automne. Il y a eu le Covid, de nombreuses difficultés, mais nous n'avons pas régressé, au contraire. Parfois, ce sont les lieux qui choisissent leur destin.»
Dans la maison d'enfance de sa maman
Sa maman, Germaine Pannatier, est née à Mase, dans le lieu-dit Vieux-Bourg. Ses parents, déjà, tenaient une épicerie et un bistro. Dans les années 70, Germaine épouse Benoit, un garçon du village, électricien, ouvrier à la Grande-Dixence. Ensemble, ils vont ouvrir le restaurant du Vieux-Bourg dans la maison d'enfance de Germaine. Sur la carte, Benoit qui n’a jamais cuisiné de sa vie écrit: «Cuisses de grenouilles et vie de famille», comme l'explique la famille Maury dans une lettre qu'elle a envoyé aux fidèles pour leur annoncer la fermeture du restaurant.
La famille s'en occupera presque durant 30 ans. Usés, Benoit et Germaine prennent leur retraite alors que leurs filles ont toutes quitté le village. Se succèdent alors locations, fermetures, jusqu'à 2007, où l'aînée, Anne-Marie, se lance à son tour dans l'aventure. De nombreuses personnes qui ne sont jamais venues à Mase, qui n'ont jamais poussé la porte du Vieux-Bourg, connaissent pourtant l'intérieur de ce bistro. Car c'est là que Manuella Maury, après avoir accueilli des personnalités dans son studio cuisine à la RTS, pour «À côté de la plaque», les convie cette fois dans cette maison d'enfance. Les invités passeront une journée à se promener dans le village et à s'asseoir à la tablée du Vieux-Bourg dans l'émission «Tête(s) en l'air». Jamais Mase n'aura connu tant de célébrités en aussi peu de temps. Michel Boujenah, Henri Dès, Lio, Adolf Ogi ou encore Eddy Merckx.
Anne-Marie quitte le bateau et son père revient à la barre, engageant un couple de jeunes Jurassiens. Après leur départ, les choses ses compliquent mais, même après le décès du papa, Benoît, les femmes de la famille Maury s'accrochent et finalement, l'arrivée d'Arianna et Ivano donne un formidable nouvel élan. Mais la suite, on la connaît désormais.
«Mase a besoin d'un lieu de rencontre»
«Quand je dis que ce sont peut-être les lieux qui choisissent leur histoire, c'est parce que pour la première fois, la maison, qui a été divisée en trois, est à vendre d'un seul bloc, précise Manuella Maury. Cela peut aider pour trouver un acquéreur, qui sait qu'il n'aura pas à négocier avec les voisins pour faire ce qu'il veut. Notre souhait, évidemment, est que cela reste un lieu public.»
Le village en a besoin. «Depuis la fermeture des deux derniers bistros, les habitants s'organisent pour faire des apéros entre eux.» Durant le carnaval, un café éphèmère s'est ouvert, comme le relatait le Nouvelliste. «Et il a eu un incroyale succès. Mase a besoin d'un lieu de rencontre.»
La journaliste contribue encore à faire vivre le village, puisqu'elle y organise depuis 2017 Lettres de soie, un festival de correspondance, qui a bien grandi. Mais si l'écriture est un art difficile, les métiers de la restauration le sont tout autant. Et c'est de plus en plus compliqué. «C'est incroyable, les contraintes pour tenir et rénover un restaurant. La transformation du Vieux-Bourg implique la pose d'un tel nombre de portes anti-feux. C'est bien simple, si le village brûlait, ne resterait dressées que des dizaines de ces portes.»
Pour les générations futures
Les réseaux sociaux peuvent aussi donner de la notoriété à des établissements, tout comme ils peuvent les démolir en un clin d'œil. «Les clients aussi ont des efforts à faire, pour montrer de la sympathie, de la tolérance et ne pas régler leurs comptes au moindre petit accroc.»
Si la décision est prise et que la famille va se séparer du Vieux-Bourg, il n'est pas déjà de l'histoire ancienne dans le cœur des Maury et ne le sera sans doute jamais. «Parce que maman, et moi également, nous vivons toujours à Mase et donc nous le voyons tout le temps.» Les femmes de la famille Maury n'ont donc qu'un souhait aujourd'hui: «Que ce lieu puisse raconter encore aux prochaines générations des aventures dont les murs ont déjà le secret.»