La droite soucieuse de ne pas «flinguer» l'industrie du tabac

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Protection des mineursLa droite soucieuse de ne pas «flinguer» l'industrie du tabac

La mise en œuvre de l'initiative «Enfants sans tabac» sous la pression du lobby des cigarettiers.

Eric Felley
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Eric Felley
La révision de la loi sur le tabac est particulièrement clivante à Berne.

La révision de la loi sur le tabac est particulièrement clivante à Berne.

Getty Images/iStockphoto

Après le Conseil des États au mois de décembre, le Conseil national s'est plongé ce jeudi dans la révision de la loi sur les produits du tabac. Cette révision fait suite à l'acceptation en février 2022 de l'initiative «Enfants sans tabac» par 57 % du peuple suisse.

Comme l'a relevé Brigitte Crottaz (PS/VD), la difficulté de l'exercice tient du fait que le Parlement doit mettre en œuvre des interdictions dont il ne voulait pas. Cependant, sur les bases de l'initiative, le Conseil fédéral a proposé un projet strict pour protéger les mineurs de toute publicité pour le tabac. Trop strict pour la droite, soucieuse de ne pas vouloir «flinguer» l'industrie du tabac, selon l'expression utilisée par un élu.

Suisse lanterne rouge

Elisabeth Baume-Schneider a rappelé pourtant que la décision du peuple était «claire», notamment sur le fait que «son acceptation aurait pour conséquence d'interdire toute publicité, même pour les adultes, à laquelle les enfants pourraient avoir accès». Selon elle, les restrictions de la publicité sont les solutions «les plus simples et les moins coûteuses en matière de prévention». En Suisse, chaque année, 9 500 personnes décèdent à cause du tabac et 3 milliards de francs sont dépensés en frais de santé à cause de sa consommation. La Suisse est également la lanterne rouge de l'Europe dans la lutte contre le tabagisme.

«Groupes d'intérêts puissants»

Mais la Suisse est certainement le leader du monde du point de vue du lobbyisme en faveur du tabac, comme l'a aussi rappelé Brigitte Crottaz. Elle a cité l'ancien médecin cantonal vaudois, Jean Martin, qui dénonce des «groupes d'intérêts puissants aux moyens illimités»: «Ce qui fait mal au citoyen que je suis, c'est la confiscation de l'intérêt général par des intérêts particuliers avec des moyens délétères». Comme il a été fait allusion dans le débat, le président de la faîtière Swiss Tobacco n'est autre que le conseiller national UDC Gregor Rutz (ZH).

Publicité dans les journaux

Ainsi, au mois de décembre dernier, le Conseil des États a amendé le projet du Conseil fédéral avec des propositions plus libérales: autoriser la publicité dans les journaux lus à 95 % par les adultes, autoriser les vendeurs mobiles de cigarettes dans les manifestations (festivals) ou supprimer l'interdiction des indications de sponsoring et de parrainage.

Des votes serrés

Le Conseil national a suivi ces propositions, sauf pour le sponsoring et le parrainage, où les défenseurs de l'initiative ont gagné par 97 voix à 96, grâce à la voix prépondérante du président Eric Nussbaumer (PS/BL). Ensuite, les votes ont été très serrés. La proposition pour la publicité dans les journaux a passé par 97 voix à 94, celle pour les vendeurs mobiles par 96 voix à 93. Le Conseil a accepté également la possibilité de créer des espaces dans les manifestations (salle VIP, soirées, afters) à l'abri du regard des mineurs.

L'économie doit décider

Parmi les défenseurs d'une application plus souple de l'initiative, Andreas Glarner (UDC/AG) a dégommé la gauche qui défend les «Drags Queen», mais qui est prête à interdire «l'alcool, les voitures, le sucre, les SUV, la viande, les grillades ou exiger que les saucisses soient casher ». Pour lui, la publicité pour adultes doit rester permise: «Laissez l'économie décider quelles sont les mesures adéquates». 

D'une manière «raisonnable et mesurée»

Pour le PLR, Regine Sauter (PLR/ZH) a affirmé que l'initiative devait certes être mise en œuvre, mais d'une «manière raisonnable et mesurée», rappelant que les produits du tabac étaient légaux en Suisse au-delà de 18 ans. Elle a reproché à la gauche d'avancer masquée: «Demander l'interdiction des produits du tabac serait plus honnête».

«Ne pas flinguer l'industrie du tabac»

Du côté du Centre, qui pouvait faire la bascule sur tous les votes ce jeudi, sa position a été présentée comme un «compromis» par Benjamin Roduit (C/VS). Mais le Valaisan avait toutefois prévenu: «Nous n'avons pas pour intention de flinguer l'industrie du tabac». Avec une position ambigüe, les élus du Centre ont finalement fait passer l'autorisation pour les vendeurs mobiles et la publicité dans les journaux. Sur ce dernier point, pour faire bonne figure, ils ont proposé d'augmenter le pourcentage de lecteurs adultes à 98 %, tandis que l'UDC demandait 90 %. Après des considérations de marchand de tapis, les 95 % l'ont emporté.  

Au vote final, l'UDC et la gauche, pour des raisons opposées, ont refusé ce projet de loi par 126 voix à 59. Il retourne au Conseil des États.

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