Après un coup de fourcheLe Tribunal fédéral rappelle les limites de la légitime défense
Il rejette le recours d'un chanvrier bernois. Il avait tiré sur des intrus, qui lui avaient transpercé la main.
- par
- Eric Felley
C'est une drôle d'histoire, un peu sanglante, qui a occupé récemment les juges du Tribunal fédéral. Dans un arrêt du 5 février, publié ce mercredi, il annonce avoir débouté un paysan bernois. Ce dernier avait recouru contre une condamnation dans son canton pour avoir tiré à la grenaille sur des gens qui s'étaient introduits dans sa ferme.
Dans la cave à betteraves
Les faits sont assez corsés. Le paysan bernois est un cultivateur de chanvre et, accessoirement, de marijuana. Dans la nuit du 1er au 2 octobre 2016, il remarque la présence de visiteurs indésirables dans le voisinage de sa ferme sise à Niedermuhlern. Avec d'autres personnes, ils tentent de chasser les intrus, mais cela tourne mal. «Après avoir fait chuter l'un des fuyards, il l'a enfermé dans la cave à betteraves», note le jugement du TF.
Les complices du malheureux tentent alors de le libérer, tandis que l'agriculteur charge son fusil avec des cartouches de grenaille. Il se rend ainsi armé à la fourragère, où les intrus se sont réfugiés. Mais lorsqu'il entre, l'un d'entre eux «lui transperce la main d'un puissant coup de fourche à fumier», relève le TF. Effrayés par l'arme, les visiteurs s'enfuient en courant pour se cacher derrière un chargeur de ferme. Excédé, l'agriculteur tire à l'aveugle un coup de feu dans leur direction.
Au-delà de l'admissible
Pour ce fait, il a été condamné par la justice bernoise à 46 mois de prison, une peine pécuniaire et une amende pour «tentative de lésions corporelles graves», et, accessoirement, pour infractions en matière de stupéfiants. La cour cantonale a estimé que l'agriculteur avait «excédé les limites de la légitime défense admissible».
Proportionnée aux circonstances
Le paysan chanvrier a donc recouru au Tribunal fédéral pour que celui-ci reconnaisse sa situation de légitime défense. En vain. Le TF rappelle que pour la faire valoir: «Une personne doit être attaquée ou menacée d'une attaque imminente et la défense doit paraître proportionnée aux circonstances. L'emploi sans avertissement préalable d'une arme à feu ne peut en principe constituer que l'ultime moyen de défense».
Au moment de la fourche, mais plus après
Dans le cas du paysan, l'intrusion des personnes dans la ferme constituait une violation de domicile, qui ne représentait pas, à elle seule, un danger pour sa vie ou son intégrité corporelle. «Un tel danger existait certes lors de l'attaque avec la fourche, admet le TF, mais plus au moment du coup de feu (...). Les intrus s'étaient déjà éloignés et mis à couvert près d'un chargeur de ferme».
«En tirant sans avertissement et de manière incontrôlée contre les personnes qui n'étaient éloignées que de quelques mètres, le recourant a considérablement excédé son droit à la légitime défense», conclut le TF, confirmant ainsi la condamnation prononcée par le canton.