AideLe fossé se creuse entre Macron et Scholz à un moment crucial pour l’Ukraine
Les deux dirigeants sont en désaccord sur la forme d'aide à apporter à l'Ukraine. Un désaccord qui pourrait être bénéfique à Poutine?
Emmanuel Macron et Olaf Scholz, à la tête des deux plus grandes puissances de l’UE, affichent désormais avec une rare ostentation leurs différends sur l’Ukraine, avec le risque de faire le jeu de Vladimir Poutine.
Un «désastre»: dans un article d’une rare sévérité, l’influent magazine allemand Der Spiegel dénonce le comportement «égocentrique» des deux dirigeants, qui se présentent volontiers «comme des moteurs de l’Europe» alors qu’ils sont en train de lui nuire par pure «vanité».
Depuis la prise en fonction fin 2021 de l’austère et réservé chancelier de centre gauche, le courant ne semble pas bien passer avec le chef de l’État français.
Les différends les plus flagrants portent actuellement sur la forme d’aide à apporter à l’Ukraine, qui a besoin de munitions et d’armes pour repousser le rouleau compresseur russe, au moment où une aide vitale de plus de 60 milliards de dollars reste bloquée aux États-Unis.
La conférence de soutien à Kiev organisée par Paris lundi aurait pu être une bonne occasion pour les Européens d’afficher leur unité.
Au lieu de cela, «de nouvelles attaques entre le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz jettent une ombre sur l’état de la coopération européenne, deux ans après l’attaque de la Russie», déplore le magazine allemand Wirtschaftswoche.
5 000 casques
Le chef d’État français a paru implicitement s’en prendre à des pays comme l’Allemagne, qui a longtemps hésité à livrer certaines armes lourdes à Kiev.
«Je vous rappelle qu’il y a deux ans, beaucoup autour de cette table disaient: «nous allons proposer des sacs de couchage et des casques». Aujourd’hui ils disent: il faut faire plus vite et plus fort», a-t-il dit.
Berlin s’était attirée de nombreux sarcasmes après avoir proposé d’envoyer 5 000 casques à l’Ukraine, juste avant le début de l’offensive russe il y a deux ans.
Sa déclaration sonne comme une réplique à Olaf Scholz qui venait de signifier son refus de livrer à l’Ukraine les missiles longues portée Taurus que le président Volodymyr Zelensky réclame.
Elle est intervenue aussi alors que le chancelier allemand, dont le pays est le plus grand contributeur européen en valeur absolue d’aides financière et militaire à l’Ukraine avec plus de sept milliards d’euros prévus cette année, ne cesse d’appeler les autres pays européens à faire davantage, visant implicitement la France et l’Italie.
Dans ce contexte, l’éventualité évoquée par le président français d’envoyer en Ukraine des soldats de pays d’Europe ou de l’Otan a été rejetée catégoriquement mardi par Olaf Scholz.
«Il y a une volonté de la France de redresser son blason et de dire, on n’est pas les si mauvais alliés que ce que vous laissez entendre», estime Gaspard Schnitzer, analyste de l’IRIS.
Champagne à Moscou
Mais ces démonstrations de rivalités sont «profondément regrettables» et profitent au président russe Vladimir Poutine, met en garde mercredi l’ancien ambassadeur allemand Wolfgang Ischinger sur la chaîne de Welt TV.
«Où pensez-vous que les bouchons de champagne vont sauter? Pas à Washington, ni en Italie, mais à Moscou», prévient l’ancien directeur de la Conférence sur la Sécurité de Munich.
«L’arme la plus puissante de Poutine est la dispute en Europe», abonde Wirtschaftswoche.
Au-delà de l’Ukraine, la France, seule puissance nucléaire de l’UE, et l’Allemagne accusent plusieurs divergences de fond, notamment sur la préférence européenne pour les achats d’armement, la conception de la défense aérienne.
«La différence avec Scholz, c’est qu’il n’a pas l’arme nucléaire et pas la même armée que nous», dit un conseiller de l’exécutif français, et «fermer une porte c’est stratégiquement offrir un point à Poutine».
«Ces différends affaiblissent la capacité européenne à soulever le défis de sa sécurité», juge Rym Momtaz, de l’International Institute for Strategic Studies.
Emmanuel Macron voit la politique de défense du chancelier, essentiellement orientée sur la protection des États-Unis via l’Otan, comme «une remise en cause des compromis franco-allemands» décidés en 2017 avec Angela Merkel visant à promouvoir la souveraineté de l’UE, estime Jacob Ross, du groupe réflexion DGAP.
«Du point de vue français, Olaf Scholz trahit l’idée de souveraineté de l’UE et sape l’héritage politique que Macron aimerait laisser en 2027», souligne l’expert.