EditorialDeux ans de guerre en Ukraine qui ont bouleversé la Suisse
Accueil des réfugiés, dépenses militaires, gel des avoirs russes et perte de neutralité, notre pays n'a pas été épargné.
- par
- Eric Felley
Voilà deux ans, le 24 février 2022, que l'armée russe a envahi l'Ukraine dans le but de déloger son président Volodymyr Zelensky et de nettoyer son pays des «nazis» qui s'y trouveraient. Deux ans plus tard, après des dizaines de milliers de morts de chaque côté, le front demeure figé dans l'est autour des quatre provinces que la Russie a reprises.
Ce n'était pas une guerre, avait précisé Vladimir Poutine, mais une «opération de police» visant à remettre à l'ordre les Ukrainiens, qui lorgnent depuis trop longtemps vers l'Union européenne et l'OTAN. Mais les conséquences de l'invasion sont bien celles d'une guerre: bombardements de villes et de civils, destructions massives d'infrastructures, afflux de millions de réfugiés, sanctions économiques et remilitarisation tous azimuts en Europe.
La logique de la guerre veut que les pays prennent position dans le concert des nations. La Suisse n'a eu d'autre choix que se joindre aux sanctions occidentales, car la Russie a violé le droit international en attaquant un pays souverain. Cela a suffi du côté de Moscou pour classer la Suisse parmi les pays hostiles.
Nouvelle ambassade à Moscou
Qu'il est loin l'été 2019, quand la Suisse inaugurait en grande pompe sa nouvelle ambassade à Moscou, qui scellait la longue amitié entre les deux pays. Alors en poste, Yves Rossier parlait d'avenir et d'échanges avec les milieux académiques: «Nous allons multiplier les projets dans ce registre-là avec des historiens: le passé de la Russie est très lourd, c'est un passé qui est encore perceptible aujourd'hui, qui pose encore sa marque ou son ombre sur la Russie d'aujourd'hui».
Vladimir Poutine a construit et légitimé son pouvoir sur ce passé, sur la grandeur de la divine Russie, son éternel honneur et son destin unique, fut-il si souvent tragique. Depuis qu'il est au pouvoir, le chef du Kremlin a toujours désigné un ennemi, une menace pour mobiliser les Russes derrière lui afin de sauver la patrie. Il ne changera pas. Une défaite en Ukraine demeure «impossible» selon sa récente expression.
Grandeur de la Russie
Au dernier Forum de Davos, Ignazio Cassis a lancé l'idée d'un sommet pour la paix en Ukraine, qui se déroulerait en Suisse cette année. Mais pour Vladimir Poutine, il n'y a rien de plus contreproductif que la paix. En mars, il sera réélu pour six ans et il continuera de harceler l'Ukraine au nom de la grandeur de la Russie face à la décadence occidentale.
En Suisse, le chef du Kremlin a ses fans, principalement du côté de l'UDC. L'autocrate à tout pour plaire à une certaine droite par son autoritarisme, sa défense du patriarcat, de la religion, du patriotisme et son opposition aux mouvements LGBT. C'est pourquoi durant deux ans, l'UDC a boudé Volodymyr Zelensky, qui défend pourtant lui aussi sa patrie et la souveraineté de son pays.
100'000 réfugiés et 15 milliards gelés
Dans les faits, la Suisse a été particulièrement impactée par cette guerre. Elle a délivré 100'000 permis avec le statut S, et l'accueil des Ukrainiens se chiffre en milliards de francs. Elle a revu à la hausse ses dépenses militaires à coup de milliards pour les dix prochaines années, au détriment d'autres secteurs. Troisièmement, elle a fait geler à ce jour près de 15 milliards de francs d'avoirs russes des réserves de la Banque centrale de Russie, des oligarques et des entreprises proches du Kremlin.
Enfin, la Suisse a intensifié ses relations avec l'OTAN, sans en faire partie évidemment, mais cela ne trompe pas les Russes, qui considèrent dorénavant qu'elle a perdu sa neutralité pour continuer à jouer les bons offices.
Lors de l'inauguration de la nouvelle ambassade en juin 2019, Ignazio Cassis avait pourtant rappelé à son homologue russe, Sergueï Lavrov, combien la Suisse saurait rester neutre en toute circonstance. Quatre ans plus tard, la Suisse officielle pense ne pas avoir changé, mais le monde a changé. L'ombre pesante de la Russie n'a pas fini de s'étendre.