Crise«Ca va mal finir»: la température sociale s’élève en Argentine
Les Argentins sont en train de rapidement déchanter, face aux mesures d’austérité du gouvernement ultralibéral Milei.
Quais de gares vides mercredi faute de trains, grève jeudi dans les hôpitaux, blocages prévus vendredi, grève générale en gestation: la température sociale monte peu à peu en Argentine, où mordent les mesures d’austérité du gouvernement ultralibéral Milei, qui pour sa part revendique un redressement des comptes.
Voyages officiels désormais en mini-délégations et vols réguliers, ministères divisés par deux, 50'000 emplois publics supprimés, 27'000 bénéficiaires «irréguliers» rayés de l’aide sociale, subventions aux transports asséchées: le gouvernement Milei claironne depuis deux mois ses coupes dans «l’Etat ennemi».
Illusions
L’Argentine a enregistré en janvier son premier excédent budgétaire mensuel en 12 ans, a triomphalement annoncé le ministère de l’Economie, à la boussole de «déficit zéro» en 2024. Il assure que l’inflation, plus tôt que prévu, est en voie d’être domptée depuis son arrivée: 25% en décembre, 20% en janvier, «plus proche de 10% en février», et possiblement à un seul chiffre au second semestre, avance le ministre Luis Caputo.
«Assainissement, ou simple évaporation» des revenus, demande l’économiste Salvator Vitelli, pour qui l’effet mathématique immédiat ne vaut pas garantie sur la durée. «La variable sociale sera déterminante pour savoir combien de temps pourra être supportée cette méthode d’amélioration des comptes».
Mais pas pour tous
Dans l’immédiat, et même si Milei promet que «c’est la caste politique qui va payer» l’ajustement, l’austérité pèse sur les bas-moyens revenus, à travers les transports, les médicaments (hausse des assurances-santé prépayées), les prix libérés de l’alimentation, du logement.
Par exemple, le prix moyen d’un ticket de bus dans l’agglomération de Buenos Aires a été multiplié par près de 4 en deux mois, passant de 85 à 300 pesos (9 à 30 centimes d’euros). Celui du métro passera d’ici mai de 125 à 667 pesos (13 à 73 centimes).
Montants dérisoires, mais monstres pour les bas revenus, à l’image d’un salaire minimum tardivement haussé de 15% en février, à 180'000 pesos (204 dollars), quand depuis la dernière réévaluation de ce salaire, l’inflation aura pris plus de 50% (254% en interannuel)
«Je sais à présent ce que c’est que marcher. J’ai arrêté de prendre certains bus, ça me revenait à 26'000 pesos par mois, au lieu de 12'000 avant», gémit Yanina Salto dans une des interminables files d’attente aux bus mercredi. Bus dont elle dépend pour ses emplois de femme de ménage, à 2500 pesos l’heure.
Le plus dur entre mars et avril
Au moins, le plus grand syndicat, la CGT et le président ultralibéral sont d’accord sur un point: «Le moment le plus dur sera entre mars et avril», a estimé Milei cette semaine. Avec l’effet cumulatif de l’austérité, une stagnation de l’activité et le coût des fournitures et frais de scolarité, à la rentrée d’automne austral.
Mais pour Milei, «une fois touché le fond, on va rebondir», et le ministère de l’Economie prédit de pouvoir lever, a mi-2024, un contrôle des changes qui pèse sur les Argentins depuis 2019.
Pour la CGT par contre, «la conflictualité sociale va aller en augmentant. Et malheureusement ça va mal finir» a grondé mardi Pablo Moyano, co-dirigeant du syndicat déjà organisateur fin janvier d’une grève générale (assez peu suivie) et de manifestations dans tout le pays (très suivies). Et qui annonce une nouvelle mobilisation d’ampleur nationale.
Milei défie, encore
L’image de Milei envoie des signaux contradictoires. Selon des sondages récents, elle commence à se dégrader, lentement, à un peu moins de 50% d’opinions positives. Mais paradoxalement, et pour la première fois depuis longtemps, une majorité (46% contre 41%) s’attend à voir la situation économique s’améliorer sur les deux prochaines années.
Un indice parmi d’autres: le taux de change parallèle du dollar, habituel thermomètre de l’anxiété économique des Argentins, reste stable depuis des semaines, autour de 1.100 pesos pour un dollar, loin encore mais plus sur une autre planète par rapport au taux officiel (882 pour un dollar).
Reste la «refondation» libérale, le train de réformes dérégulatrices tous azimuts de Milei, récemment retoqué au Parlement où le parti du président est très minoritaire. Le projet reviendra, sans doute en tranches.
Surtout, résume le quotidien La Nacion (conservateur, plutôt critique), ce «président indéchiffrable» continue de défier establishement et politique classique avec son hyperactivité sur les réseaux sociaux «sa communication idéologique, conflictuelle (...) sans chercher d’accords, sans générer de majorités, sans calculer le coût. Comme une expérience inédite à ciel ouvert».