Prévention et gestionBanni de Quai 9 à Genève, le crack est devenu un casse-tête
Le canton a récemment lancé un «plan crack» sur trois ans prévoyant un espace dédié à sa consommation.
Le boom en Suisse du crack prêt à l’emploi et bon marché a obligé Genève à le bannir de sa «salle de shoot», bousculant la politique suisse en matière de drogue.
Derrière la gare de Genève, les modules préfabriqués verts fluo de Quai 9 offrent depuis 2001 une salle légale de consommation de drogue, avec un personnel qualifié surveillant les risques d’overdose.
Mais l’essor du crack — un dérivé très addictif de la cocaïne engendrant une forte dépendance, des comportements agressifs et de la paranoïa — provoque des tensions.
«Elle nous a mis à mal»
«Cela faisait vingt ans qu’on était ouvert et qu’on travaillait avec l’héroïne, avec la cocaïne injectée, mais cette cocaïne fumable nous a mis à mal», reconnaît Olivier Stabile, l’un des collaborateurs de l’association Première Ligne gérant le centre.
«On n’arrivait pas à gérer la sécurité des autres usagers, on a préféré faire un petit stop», dit-il, expliquant la décision prise ces derniers mois d’interdire le crack en journée.
Ils peuvent toutefois y dormir car seule une dizaine de personnes sont hébergées, ce qui facilite l’encadrement.
Depuis plusieurs années, le crack, aux graves effets sur la santé, fait des ravages dans divers pays, comme au Brésil et en France.
Arrivé d'abord à Genève
En Suisse, il semble être arrivé d’abord à Genève, le phénomène émergeant fin 2021 après la période du Covid, avec un doublement des consommateurs en 2022, suite à l’arrivée d’une très haute disponibilité du produit à un prix bas inédit, à dix francs (10,70 euros) «la taffe», selon les autorités.
En termes de consommation c’est «à peu près dix francs tous les quarts d’heure», un besoin d’argent qui engendre des violences, explique David Perrin, collaborateur socio-sanitaire de Première Ligne.
Malgré les risques, Quai 9 souhaite continuer à apporter son soutien aux fumeurs de crack.
Maraudes nocturnes
En attendant que les autorités trouvent une solution d’accueil adaptée, Première Ligne organise des maraudes nocturnes, distribuant eau, barres de céréales et pipes à crack pour réduire les risques de transmission de maladies, dont l’hépatite C.
«C’est essentiel, il s’occupe des jeunes, des laissés-pour-compte. C’est un contact humain qui est essentiel», affirme Alvin, un usager de crack, qui n’a pas souhaité donner son nom.
Les Hôpitaux universitaires de Genève ont aussi lancé des maraudes de jour.
Après avoir été submergée par l’héroïne dans les années 80, la Suisse a mis en place une politique dont le fondement était de considérer les toxicomanes non plus comme des délinquants mais comme des malades.
Après des années d’application, le résultat de cette «politique des quatre piliers» – prévention, thérapies, réduction des risques et répression – était considéré comme positif, avec un net recul des décès, valant à la Suisse une reconnaissance internationale.
«Ce qui a marché avec l'héroïne...»
A l’origine de cette politique, l’ancienne présidente Ruth Dreifuss observe toutefois que «ce qui a marché avec l’héroïne ne marche pas aujourd’hui avec le crack en termes de prévention des risques et de traitement» et appelle à «développer d’autres réponses».
«Le crack fragilise l’édifice qui ne pouvait plus continuer sur le régime qu’on connaissait depuis le début des années 2000 avec des substances psychotropes bien connues, des modes d’ingestion classique et surtout une autorégulation liée au coût des produits», explique Pierre Maudet, à la tête du département de la Santé du canton.
Insécurité, prostitution... l’augmentation des nuisances liées au crack ont poussé Quai 9 à demander une plus grande présence policière.
«Jusqu’à maintenant le Quai 9 était vu d’un bon œil. Avec la consommation accrue de crack, il est vu par certains comme l’origine de difficultés dans le quartier», se désole Paula Quadri Sanchez, travailleuse sociale à Première Ligne.
Un «électrochoc»
La fermeture du centre aux usagers de crack a été un véritable «électrochoc» pour les autorités, relève M. Maudet.
Pour tenter de résoudre le problème, Genève a récemment lancé un «plan crack» sur trois ans prévoyant un espace dédié à la consommation de cette drogue.
«Il y a un équilibre à retrouver, avec de nouveau une action déterminée en terme de police et de sécurité publique sur le domaine public, mais aussi avec une prise en charge sanitaire un peu différente», estime Pierre Maudet.