FranceRobert Badinter est décédé à 95 ans
L’ancien ministre de la Justice de François Mitterrand avait porté l’abolition de la peine de mort en France.
Père de l’abolition de la peine de mort en France en 1981, l’ancien ministre de la Justice et avocat Robert Badinter est décédé dans la nuit de jeudi à vendredi, à l’âge de 95 ans.
La disparition de celui qui a aussi présidé le Conseil constitutionnel, annoncée à l’AFP par sa collaboratrice Aude Napoli, a suscité une avalanche d’hommages.
«Une figure du siècle»
Le président Emmanuel Macron a salué sur X «une figure du siècle, une conscience républicaine, l’esprit français». «C’est un repère pour beaucoup de générations», «une conscience». «La nation a perdu à coup sûr un grand homme, un très grand avocat», «un sage», «un hommage national lui sera rendu», a déclaré le chef de l’État en marge d’un déplacement à Bordeaux consacré à la justice et la police.
«Il aura consacré chaque seconde de sa vie à se battre pour ce qui était juste, à se battre pour les libertés fondamentales. L’abolition de la peine de mort sera à jamais son legs pour la France», a de son côté écrit sur X le Premier ministre Gabriel Attal, tandis que le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, ancien avocat, a évoqué un «garde des Sceaux visionnaire» qui «laisse un vide à la hauteur de son héritage: incommensurable».
Le leader de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a pour sa part salué sa «force de conviction sans pareille», se souvenant d’un être «tout simplement lumineux».
Abolition de la peine de mort
Ministre de la Justice du président socialiste François Mitterrand (1981-1986), Robert Badinter porta la loi du 9 octobre 1981 qui abolit la peine de mort, dans une France alors majoritairement en faveur de ce châtiment suprême.
Il s’investit par la suite, jusqu’à son «dernier souffle de vie», pour l’abolition universelle de la peine capitale.
Son père arrêté sous ses yeux
Il naît à Paris le 30 mars 1928 dans une famille juive émigrée de Bessarabie (l’actuelle Moldavie). Son père, arrêté sous ses yeux pendant la Seconde Guerre mondiale à Lyon, meurt en déportation dans le camp de concentration de Sobibor, en Pologne.
Après des études de lettres et de droit et un diplôme de l’université Columbia, il devient avocat au barreau de Paris et mène parallèlement une carrière d’enseignant universitaire.
Cofondateur avec Jean-Denis Bredin d’un prestigieux cabinet d’avocats, il défend des personnalités, des grands noms de la presse ou de l’entreprise et plaide occasionnellement aux assises.
L'origine de son combat
Son combat contre la peine de mort trouve son origine dans ce matin du 28 novembre 1972: un de ses clients, Roger Bontemps, complice d’une prise d’otages meurtrière, vient d’être exécuté.
Cela «remet en question votre vision de la justice. Je me suis juré, en quittant la cour de la Santé ce matin-là à l’aube, que toute ma vie je combattrais la peine de mort», avait-il déclaré à l’AFP en 2021.
Des rescapés dont Patrick Henry
En 1977, il évite la peine capitale au meurtrier d’enfant Patrick Henry, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Après cela, cinq autres hommes échappent grâce à lui à l’échafaud.
Ce qui lui vaudra d’être détesté pendant longtemps, pour son supposé laxisme à l’égard des criminels.
Trois enfants avec Elisabeth
Cet homme à la fine silhouette et aux épais sourcils noirs était marié depuis 1966 à la philosophe Elisabeth Badinter, née Bleustein-Blanchet, avec qui il a eu trois enfants.
En août 1982, il fait voter la dépénalisation de l’homosexualité. A son actif aussi, la suppression des quartiers de haute sécurité, l’accès des justiciables français à la Cour européenne des droits de l’homme ou une loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents.
Après son départ du gouvernement, il a présidé pendant neuf ans le Conseil constitutionnel (1986-1995).
Sénateur socialiste de 1995 à 2011, il a la satisfaction de voir l’abolition de la peine de mort inscrite dans la Constitution en 2007.
Toujours très actif, il planche sur une réforme de l’ONU dans les années 2000 et sur la réforme du Code du travail pendant le quinquennat de François Hollande.
Pluie d'hommages
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, lui a rendu hommage en évoquant auprès de l’AFP «un juste entre les justes», qui a fait «progresser le droit et l’humanisme».
Pour le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, l’ancien garde des Sceaux fut «plus que l’abolitionniste qui mit fin à la peine de mort» car «il incarnait l’idée même de justice».
«Il restera pour les avocats et notre pays l’exemple de la droiture et de la justesse», a souligné sur X le bâtonnier de Paris Pierre Hoffmann.
Marine Le Pen a évoqué «une figure marquante du paysage intellectuel et juridique». «On pouvait ne pas partager tous les combats de Robert Badinter, mais (c’était un) homme de convictions», a ajouté la leader d’extrême droite, vendredi dans un message publié sur X.
Robert Badinter est mort le jour anniversaire de la rafle de la rue Sainte-Catherine à Lyon, le 9 février 1943, au cours de laquelle son père a été arrêté.
«Cette histoire singulière a fait de lui un grand homme, un mensch (un homme de bien, NDLR), lui qui a dédié sa vie pour celle de tous les autres, pour les droits de l’homme et les libertés», a affirmé le grand rabbin de France Haïm Korsia.