UkraineLe général Zaloujny, révéré et néanmoins limogé
Le commandant en chef de l’armée ukrainienne depuis juillet 2021 a été remplacé jeudi par Oleksandre Syrsky.
Il est le visage de la détermination et de l’habileté des Ukrainiens face à l’invasion russe. Mais Valéry Zaloujny, commandant en chef de l’armée ukrainienne depuis juillet 2021, a été limogé jeudi par Volodymyr Zelensky, sur fond de désaccords croissants.
Agé de 50 ans, ce gaillard à la mine patibulaire s’est illustré à son poste comme un fin stratège et tacticien, faisant échouer l’offensive lancée le 24 février 2022 par Vladimir Poutine, qui croyait pouvoir prendre en quelques jours Kiev et le contrôle du pays.
Adulé en Ukraine, respecté en Occident et probablement craint en Russie, M. Zaloujny a cependant vu ces derniers mois sa relation avec la présidence se tendre, particulièrement depuis l’échec de la grande contre-offensive estivale qui n’a pas abouti à la libération des territoires occupées.
Le général Syrsky nommé commandant en chef
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a nommé jeudi le chef de son armée de terre, le général Oleksandre Syrsky, commandant en chef des forces ukrainiennes, en remplacement de Valery Zaloujny.
Le chef de l’État a qualifié son nouveau commandant de «général le plus expérimenté d’Ukraine», soulignant qu’il avait commandé la défense de Kiev au début de l’invasion russe il y a quasiment deux ans, puis la contre-offensive de l’automne 2022 qui avait libéré la région de Kharkiv.
Le général a notamment agacé par sa franchise, disant en novembre 2023 dans une interview au magazine The Economist, que la guerre s’enfonçait dans une «impasse» et qu’il n’y aurait donc «probablement pas de magnifique percée».
Il semblait ainsi enterrer dans l’immédiat l’ambition de libérer les 20% du territoire ukrainien occupé par la Russie, objectif affiché de la présidence.
Bien qu’ils soient liés par le destin de leur pays, les relations entre Valéry Zaloujny et Volodymyr Zelensky se sont dégradées depuis, nourrissant les spéculations quant à un limogeage.
Ces dernières semaines, les deux hommes avaient aussi affiché leur désaccord sur l’épineux sujet de la mobilisation de centaines de milliers d’hommes pour remplir les rangs décimés lors de la contre-offensive mais aussi pour relayer les vétérans, épuisés par deux ans sur le front.
Le président Zelensky n’a pas validé l’idée du général Zaloujny de mobiliser un demi-million d’hommes.
Rumeurs et contre-rumeurs
Dans les derniers jours de janvier et les premiers de février, la situation a pris des allures de théâtre de l’absurde, les rumeurs, contre-rumeurs et démentis quant au limogeage imminent du populaire commandant en chef se multipliant.
Dès les premiers jours de l’invasion, le président et le général sont devenus les symboles de la détermination des Ukrainiens à repousser un adversaire réputé mieux armé et plus expérimenté.
Pour ses compatriotes, M. Zaloujny est celui qui a fait échouer le plan initial du Kremlin de faire plier Kiev en quelques jours.
Aux yeux de son pays et de ses alliés occidentaux, c’est à lui aussi qu’on doit les trois humiliantes retraites russes du nord ukrainien (avril 2022), puis de la région de Kharkiv (septembre 2022) et enfin de Kherson (sud, novembre 2022).
Après la chute de l'URSS
Valery Zaloujny, né le 8 juillet 1973 dans une garnison militaire soviétique du nord-ouest de l’Ukraine, est de cette première génération de militaires ukrainiens à avoir fait toute sa carrière après la chute de l’URSS.
Pendant deux décennies, il a multiplié les affectations pour finalement rejoindre en 2017 l’état-major.
Il donne alors la priorité aux réformes à mener dans l’armée pour la mettre aux normes de l’Otan, que l’Ukraine ambitionne de rejoindre malgré l’opposition du Kremlin.
Une de ses innovations cruciales a été de donner l’initiative de la prise de décision aux officiers sur le champ de bataille, à l’inverse de la culture centralisatrice russo-soviétique.
Cette souplesse s’est avérée déterminante au début de la guerre pour infliger des déroutes aux forces russes, d’abord aveuglées par un excès de confiance, puis sclérosées par la lourdeur de leur chaîne de commandement.
M. Zaloujny dit aussi ce qu’il pense à ses alliés, comme en juin, quand les Occidentaux se plaignent du manque de progrès sur le front: «ce n’est pas une série télévisée», avait-il rétorqué au Washington Post, «chaque jour, chaque mètre, c’est du sang versé».