SénégalL’opposition se mobilise contre le report de la présidentielle
Samedi, le président du Sénégal, Macky Sall, a annoncé que l’élection du 25 février était décalée pour éviter une nouvelle crise. Des heurts ont eu lieu à Dakar.
Au Sénégal, alors que l’opposition a appelé à manifester ce dimanche, à Dakar, contre la décision du président Macky Sall de reporter la présidentielle du 25 février, des heurts ont éclaté dans la capitale, où les gendarmes ont dispersé à coups de gaz lacrymogènes des centaines de personnes, avant d’essuyer des jets de pierres.
Des hommes et des femmes de tous âges, agitant des drapeaux du Sénégal ou portant le maillot de l’équipe nationale de football, ont convergé en début d’après-midi vers un rond-point, sur un des axes routiers principaux de la capitale. Les gendarmes, déployés en grand nombre, ont déclenché un tir nourri de grenades lacrymogènes pour tenter de les disperser. Puis ils se sont enfoncés, à pied ou en voiture, dans les quartiers alentour, à la poursuite des manifestants.
Ce sont les premiers heurts consécutifs à l’annonce, samedi, par le président Macky Sall, du report sine die de la présidentielle du 25 février.
Appel «à se lever»
L’annonce, faite samedi, dans un contexte de crise politique, par le président élu en 2012 et réélu en 2019, a aussi provoqué l’inquiétude à l’étranger. Elle plonge à nouveau dans l’inconnu ce pays réputé comme un îlot de stabilité en Afrique, mais qui a connu, depuis 2021, différents épisodes de troubles meurtriers.
«Nous nous sommes réunis et entendus pour nous rassembler à partir de 15h (16h en Suisse) pour démarrer notre campagne électorale de façon collective», a déclaré, sur la radio privée RFM, Habib Sy, un des 20 candidats qui devaient concourir au scrutin. L’opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats à la présidentielle, avait appelé, samedi, tout le pays à «se lever» contre le report du scrutin.
L'UE veut des élections «dans les meilleurs délais»
L’Union européenne a affirmé, dimanche, que le report de la présidentielle ouvre une «période d’incertitude» dans le pays, appelant à des élections «dans les meilleurs délais». Les États-Unis, «profondément préoccupés», ont exhorté, samedi, les acteurs politiques «à s’engager pacifiquement» pour «fixer rapidement une nouvelle date et les conditions d’une élection libre et équitable».
De son côté, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a exprimé son «inquiétude» et demandé aux autorités d’œuvrer à fixer rapidement une nouvelle date.
Ce n’est que samedi, quelques heures avant l’ouverture officielle de la campagne, que le président Sall a annoncé qu’il abrogeait le décret fixant la présidentielle au 25 février. C’est la première fois depuis 1963 qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée dans ce pays, qui n’a jamais connu de coup d’État, une rareté sur le continent.
Encore en poste après son mandat, alors qu'il n'est pas candidat?
Le Sénégal ne peut «se permettre une nouvelle crise» après des troubles meurtriers en mars 2021 et juin 2023, a dit le président Sall, annonçant «un dialogue national» pour «une élection libre, transparente et inclusive» et réitérant son engagement à ne pas être candidat.
Selon le Code électoral, un décret fixant la date d’une nouvelle présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant le scrutin, ce qui mènerait à fin avril dans le meilleur des cas, un cas de figure quasiment impossible. Le président Sall risque ainsi d’être encore à son poste au-delà de l’échéance de son mandat, le 2 avril.
Vive querelle dans les hautes sphères
Le président Sall a invoqué le conflit qui a éclaté entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale après la validation définitive, par la juridiction, de 20 candidatures et l’élimination de plusieurs dizaines d’autres. À l’initiative de Karim Wade, un candidat recalé qui a remis en cause l’intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l’élection, l’Assemblée a approuvé la création d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures.
Contre toute attente, les députés du camp présidentiel ont soutenu la démarche. Elle a provoqué une vive querelle sur la séparation des pouvoirs, mais aussi nourri le soupçon d’un plan du pouvoir pour ajourner la présidentielle et éviter la défaite. Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Ba, est contesté dans ses propres rangs et fait face à des dissidents. Au contraire, l’antisystème Bassirou Diomaye Faye, à la candidature validée par le Conseil constitutionnel, bien qu’il soit emprisonné depuis 2023, s’est imposé, ces dernières semaines, comme un postulant crédible à la victoire, un scénario cauchemar pour le camp présidentiel.