Crise agricoleLa colère reflue en France, le reste de Europe dans l’expectative
Vendredi, les agriculteurs français ont commencé à lever les blocages après les mesures promises par Gabriel Attal la veille ajoutées à celles de Bruxelles.
Une décrue, pas l’épilogue: des agriculteurs en France, épicentre de la révolte du monde paysan en Europe, commencent à lever leurs blocages vendredi, après les mesures annoncées la veille à Paris et Bruxelles, mais certains sur le continent poursuivent le mouvement.
Mobilisés en masse depuis lundi, les agriculteurs français qui barraient des portions d’autoroutes aux abords de Paris lèvent progressivement le camp à l’appel des deux principaux syndicats du secteur qui ont évoqué les «avancées attendues au niveau national et européen».
Pour tenter d’éteindre la colère qui gagnait du terrain sur le continent, la Commission européenne a promis jeudi des mesures pour défendre les «intérêts légitimes» des agriculteurs de l’UE, «en garantissant des conditions de concurrence équitables» ou en réduisant le «fardeau administratif» de la décriée politique agricole commune (PAC).
Le gouvernement français a, de son côté, promis depuis lundi une enveloppe globale de 400 millions d’euros à ses agriculteurs et annoncé la mise «en pause» d’un plan de réduction des pesticides, au grand dam des écologistes. «Le moment de la crise le plus visible (...) est plutôt derrière nous», a assuré vendredi matin le ministre français de l’Agriculture Marc Fesneau. Certains groupes isolés entendent toutefois maintenir leurs actions.
«Ce n’est pas l’Europe que nous voulons»
Politique européenne trop complexe, revenus trop bas, inflation, concurrence étrangère, accumulation de normes, flambée des prix du carburant: les revendications qui s’expriment en France se retrouvent ailleurs en Europe, de l’Allemagne à la Pologne, en passant par l’Italie, avec pour cible commune la politique agricole menée à Bruxelles. Pour faire entendre leurs griefs, des milliers de manifestants venus de plusieurs pays et quelque 1200 tracteurs avaient envahi jeudi les rues de la capitale belge. «Ce n’est pas l’Europe que nous voulons», scandaient les manifestants.
Les agriculteurs ont notamment dans le collimateur l’accord de libre-échange que la Commission négocie actuellement avec les pays sud-américains du Mercosur, dont les puissances agricoles Brésil et Argentine. Ce traité ne sera pas «conclu à la va-vite comme certains menaçaient de le faire», a certifié le président français Emmanuel Macron jeudi, qui a également annoncé que l’UE instaurerait un contrôle des importations de céréales ukrainiennes pour éviter des distorsions de concurrence.
Mise en garde du FMI
Pas sûr toutefois que les agriculteurs mobilisés ailleurs en Europe cessent immédiatement leur mouvement.
En Italie, des appels circulent pour convaincre des agriculteurs de converger vers Rome et une action est prévue samedi au nord de la capitale. En Sicile, plusieurs d’entre eux entendaient bloquer vendredi matin la circulation dans la ville de Raguse où un convoi de tracteurs a défilé au sons des klaxons et en brandissant une pancarte demandant «Sai cosa mangi?» («Sais-tu ce que tu manges ?»). «Nous devons agir parce qu’ils n’écoutent pas nos problèmes», a dit l’un des agriculteurs sur une chaîne locale. En Sardaigne, agriculteurs et éleveurs continuent de bloquer le port de Cagliari et entendent poursuivre leur action jusqu’à lundi, selon des médias locaux.
Jeudi, la mobilisation s’était étendue au Portugal où des centaines d’agriculteurs bloquaient des axes routiers, dont deux passages à la frontière avec l’Espagne, afin de réclamer une «valorisation de leur activité».
En Grèce, 300 tracteurs et des dizaines de camions d’apiculteurs, klaxonnant et arborant des drapeaux noirs et blancs, s’étaient immobilisés devant le centre municipal de Thessalonique, la deuxième ville de Grèce, aux cris de: «Agriculteurs, ils boivent votre sang». Face à ce mouvement, la Commission avait déjà fait des concessions en début de semaine en proposant d’accorder pour 2024 une dérogation «partielle» aux obligations de mises en jachères imposées par la PAC.
Après la rafale d’annonces notamment en France, le Fonds monétaire international, gardien de l’orthodoxie budgétaire, s’est inquiété du coût des aides gouvernementales et de leur impact sur les finances publiques. La patronne du FMI Kristalina Georgieva a assuré «comprendre, d’un point de vue humain, (que les agriculteurs) font face à plus de difficultés» mais a lancé une mise en garde: «Si cela place les gouvernements au pied du mur et les empêche de faire ce qui est nécessaire pour renforcer les économies, il risque de venir un moment où nous pourrions le regretter».