CinémaLe réalisateur suisse Tamer Ruggli présente «Retour en Alexandrie»
Le premier long-métrage du Biennois met notamment en scène Fanny Ardant. Il nous raconte ce projet qui a pris dix ans à voir le jour.
- par
- Fabio Dell'Anna
Dix ans de travail. Le premier long métrage de Tamer Ruggli a pris une décennie pour arriver dans nos salles romandes. Et l’attente en valait la peine. Le réalisateur suisse-égyptien avoue que le plus compliqué a été de trouver des fonds pour le projet. Le tournage n'a, quant à lui, duré que trente jours.
Dans «Retour en Alexandrie», on découvre la relation compliquée entre Sue (Nadine Labaki) et sa mère Fairouz. Cette dernière est une aristocrate excentrique, jouée par Fanny Ardant, qui ne va plus très bien. Sa fille, domiciliée en Suisse, décide d'aller la voir en Égypte alors qu'elles ne se sont pas adressées la parole depuis vingt ans.
Un voyage qui mélange intelligemment passé et présent. Le pardon a une place importante dans ce drame teinté d'humour. Le tout est sublimé par des paysages de notre pays, du Caire et d'Alexandrie. Un bonheur pour les yeux.
Assis à la cafétéria de notre rédaction, Tamer Ruggli exprime la chance d'avoir pu réaliser «ce rêve». Entre deux gorgées d'eau gazeuse, il confie: «C'était important de montrer une partie de mon héritage au public suisse et international. Je suis très content de l'accueil et d'avoir été soutenu par de si grands acteurs. Certains sont très connus dans le monde arabe.»
Le sujet de ce long métrage vous est venu naturellement?
C'est mon histoire personnelle. Enfin... Plutôt celle de ma mère qui avait une relation assez conflictuelle avec la sienne. Elle était issue de l'aristocratie égyptienne et j'ai grandi dans ces situations parfois compliquées. Par exemple, ma grand-mère a coupé les cheveux de sa fille pour qu'elle soit moins belle. Il y avait une concurrence. Je passais mes vacances d'été là-bas et j'étais constamment entouré de femmes exubérantes, un peu camp et esthétiquement très Barbie. Ce film est une lettre d'amour à l'Égypte. Une Égypte qui n'existe peut-être plus.
On remarque parfaitement cet esthétisme lors d'une scène où toutes les tantes décédées ainsi que la défunte grand-mère de Sue sont autour d'une table.
Exact! D'ailleurs, hormis le personnage de la grand-mère, tout le monde fait réellement partie de ma famille autour de cette table. (Rires.) J'avais envie d'une symbolique et de rendre hommage à ces femmes.
Comment avez-vous approché Fanny Ardant pour le rôle de Fairouz?
Une coproductrice a fait le lien. Je lui ai soumis le scénario avec une lettre en expliquant que j'avais pensé à elle très tôt. Elle a été touchée, je crois. Vous savez, elle n'a finalement pas tellement de choses à prouver. Elle fonctionne à l'instinct et je pense qu'elle aime bien jouer dans des premiers films. Elle le fait avec plaisir. Elle était très intéressée par l'Égypte, en plus. Ça l'amusait d'y tourner. Il y a donc eu plusieurs facteurs qui s'alignaient. Sans oublier le personnage détestable et gentil à la fois qui lui va comme un gant.
Comment était-ce de tourner avec une icône française?
Elle est très préparée. Sur le tournage, normalement, on commençait à tourner la scène comme elle le pensait. Je lui ai parfois donné quelques indications de jeu et elle était toujours très ouverte. Au final, elle a vraiment essayé de ressembler à ma grand-mère, ou à ce personnage que j'avais écrit.
Vous montrez une Suisse très calme qui est tout le contraire de l'Égypte. C'était voulu?
Cela correspond aussi aux personnages. Sue habite en Suisse et est de nature plus sérieuse. On l'a notamment filmée dans la maison Buchli, à Münsingen dans le canton de Berne. C'est très stérile comme endroit, le summum du clean. On remarque finalement qu'il y a peu de vie chez elle. La manière dont elle s'habille est très sobre aussi. Puis, elle arrive en Égypte. L'atmosphère devient plus électrique et vibrante. Il y a de la chaleur et de la couleur. Petit à petit, Sue se laisse aller...
Les scènes en Alexandrie ou au Caire sont impressionnantes. Ça bouge beaucoup. Était-ce plus challenging de filmer en Égypte?
En tant que réalisateur, c'était très agréable de tourner en Égypte. Il y a une culture cinématographique. C'est-à-dire qu'ils ont l'habitude de tourner à la chaîne. La main d'œuvre n'est pas chère et vous avez rapidement de grandes équipes. En Suisse, il y a le côté un peu plus syndicaliste. Les gens font ce qu'ils doivent faire et pas plus. Il faut respecter les horaires de bureau. (Rires.)
Vous êtes diplômé de l'ECAL. Quel conseil avez-vous pour les étudiants qui terminent leurs études et veulent se lancer dans la réalisation?
Il faut rester motivé. Il y a beaucoup de cinéastes en Suisse pour notre petit marché. Les conditions sont dures et on peut être vite découragé.
Vous l'avez été?
Oui, bien sûr. Un des éléments les plus importants et de trouver un producteur qui porte un projet sur une longue durée. Sinon, on peut vous laisser tomber n'importe quand. Il faut avoir quelqu'un qui est derrière vous et qui pousse le projet à aller de l'avant.
Après avoir passé dix ans sur ce film, avez-vous d'autres projets en production?
Oh oui! «Retour en Alexandrie» a duré tellement longtemps que je me devais de penser à d'autres choses. (Rires.) Il y a deux projets en développement. Le premier est à nouveau un film entre la Suisse et l'Égypte qui est plus contemporain et traitera de l'homosexualité. Un sujet encore tabou là-bas. Et puis le deuxième sera une histoire entre la Suisse et l'Italie dans les années 60. Promis, cela prendra moins de dix ans cette fois-ci. (Rires.)