«Argylle», vous reprendrez bien une couche de numérique?

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Sortie cinéma«Argylle», vous reprendrez bien une couche de numérique?

Asphyxiée par un vernis envahissant, la nouvelle comédie de Matthew Vaughn s'épuise et nous avec. 

Jean-Charles Canet
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Jean-Charles Canet
Une beauté (Dua Lipa) dans la position du «colibri». Ainsi commence «Argylle» de Matthew Vaughn.

Une beauté (Dua Lipa) dans la position du «colibri». Ainsi commence «Argylle» de Matthew Vaughn.

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Quelque part sur cette belle planète, dans une sorte de boîte de nuit orientale réservée à l'élite, un homme qui ressemble furieusement à Henri Cavill (ah ben, c'est effectivement Henri Cavill) traverse la piste de danse et se dirige vers un groupe de plantureuses créatures assises sur un sofa. La plus belle d'entre elles (Dua Lipa) se lève et se dirige vers la mâchoire carrée, temporairement arrêtée par le cordon de sécurité. «Vous savez faire le colibri?» lui demande Argylle (c'est son nom d'agent secret).

Il se voit répondre par la positive, ce qui vaut aux spectateurs du film une chorégraphie acrobatique du couple, avec la danseuse juchée sur les bras musclé du bellâtre tournoyant, les jambes totalement écartées.

Partie de jambe en l'air

La partie de jambes en l'air s'interrompt. La belle est aussi une espionne, mais d'un autre bord, les autres clients sont tous ses complices et tiennent Argylle en joue. Il y a une scène d'action énorme, avec plein de morts (enfin, on suppose), puis une séquence rigoureusement impossible de poursuite entre une moto et une voiture. Tout cela se termine par un gag très physique, assez bien envoyé.

Aidan (Sam Rockwell) et Elly Conway (Bryce Dallas Howard) à Londres à l'endroit où une piste cruciale a été perdue.

Aidan (Sam Rockwell) et Elly Conway (Bryce Dallas Howard) à Londres à l'endroit où une piste cruciale a été perdue.

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On finit par apprendre que ce que l'on vient de voir est le fruit de l'imagination de la romancière Elly Conway (Bryce Dallas Howard, fille de Ron), qui vit seule avec son chat. Ses thrillers d'espionnage, du type James Bond dopé aux stéroïdes, connaissent un vif succès et l'autrice se prête volontiers au jeu des questions réponses en librairie. Dans un train, un passager (Sam Rockwell) l'accoste, il se présente comme étant un espion...

Bande-annonce du film «Argylle».

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À ce stade du film, on croit qu'il y aura une partie purement fantaisiste, irréaliste, voire énorme, qui se passe dans la tête de la romancière. Et une partie plus terre à terre consacrée au quotidien d'Elly Conway. Un peu comme dans «Le Magnifique» de Philippe de Broca, antique comédie française avec Jean-Paul Belmondo et Jacqueline Bisset, qui a certes pris un terrible coup de vieux, mais qui, au moins, exploitait avec un certain sens du gag le contraste entre la vie rêvée et la vraie vie.

Une fausse piste

C'était une fausse piste. Sans révéler quoi que ce soit, le dispositif orchestré par Matthew Vaughn est purement unidimensionnel. C'est un monde d'agents quasi invincible. Un monde avec des bagarres interminables aux chorégraphies impossibles, des torgnoles qui dévissent les colonnes vertébrales, mais qui se soignent comme un bobo au doigt, en soufflant dessus. Même les blessures par balles au travers de la cage thoracique sont anodines tant que cela arrange le scénario.

Il y a des gentils (certes un peu cyniques, nous sommes en 2024). Il y a  des méchants. Il y a aussi des péripéties très écrites qui tentent de faire croire qu'il y a un brin d'esprit, un soupçon d'intelligence dans le script. Mais pas du tout, en fait. Le monde d'Argylle est peuplé de marionnettes. Non, d'avatars plutôt, qui enchaînent les séquences cinématiques d'un jeu vidéo. Et croyez-le, on a vu des cinématiques bien plus intéressantes.

Du numérique, partout

Car ce qui tue «Argylle», c'est ça: l'emploi sans retenue du numérique. Un vernis totalitaire qui semble contaminer l'ensemble des scènes, même celles qui n'en ont pas besoin. Quant aux scènes d'action, pas une seule parait obéir aux lois d'une physique élémentaire. Du coup, une fois la durée du cartoon achevée (10 minutes max), on décroche.

Les personnages, on s'en cogne. Les obstacles font bâiller. La belle image n'est pas belle, elle est recomposée. Le réalisateur des «Kingsman» fait du style. Parfois ce n'est pas mal, les couleurs sont jolies, mais une fois la séquence «tiens, il y a du monde dans la maison» achevée, la médiocrité reprend le dessus.

Au terme de près de deux heures vingt de projection, on ressort d'«Argylle» avec le sentiment d'avoir visionné un divertissement conçu par intelligence artificielle, formaté pour un service de streaming et peuplé de fantômes gesticulants.

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