Mer Rouge, Taïwan, PanamaRegain de menaces sur le commerce mondial: Davos s'alarme
Les champions de la mondialisation, rassemblés jusqu'à ce vendredi à Davos, regardent avec inquiétude les tensions géopolitiques qui menacent de gripper à nouveau les rouages du commerce mondial.
Faut-il craindre le retour des pénuries? Les champions de la mondialisation, rassemblés cette semaine à Davos, regardent avec inquiétude les tensions géopolitiques qui menacent de gripper à nouveau les rouages du commerce mondial, déjà ébranlé par la pandémie, puis la guerre en Ukraine. «Nous pensions que (les chaînes d’approvisionnement) s’étaient normalisées après le Covid. Clairement, c’est un peu plus précaire après ce qui se passe en mer Rouge», a indiqué à l’AFP Francesco Ceccato, patron de Barclays Europe, en marge de la réunion du Forum économique mondial qui s’achève vendredi, à Davos.
Un diagnostic partagé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui espérait encore début octobre, avant l’attaque du Hamas contre Israël, une croissance du commerce mondial de marchandises de 3,3% cette année. Elle est désormais «moins optimiste», a reconnu sa directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala, évoquant notamment «l’aggravation des tensions géopolitiques, les perturbations qu’on voit en mer Rouge, sur le canal de Suez, le canal de Panama».
Attaques en mer Rouge
«Les Houthis (...) changent le commerce mondial et les coûts du transport maritime», relève auprès de l’AFP Karen Harris, économiste du cabinet Bain. Ce groupe soutenu par l’Iran, qui dit agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza, multiplie les attaques contre des navires marchands qu’il estime liés à Israël en mer Rouge, une zone cruciale pour le commerce international. Au lieu de passer par le canal de Suez, beaucoup de transporteurs font donc le détour par le cap de Bonne-Espérance. C’est plus long, et plus cher.
Cela «perturbera les chaînes d’approvisionnement pendant au moins quelques mois», a estimé lors d’un panel à Davos Vincent Clerc, directeur général du poids lourd du commerce maritime Maersk. Les constructeurs automobiles Tesla et Volvo ont déjà annoncé des suspensions temporaires de production en Europe, par manque de pièces détachées. Et le transport de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) «sera affecté», a affirmé le Premier ministre du Qatar, Mohammed ben Abdulrahmane Al-Thani.
L’inconnue Taïwan
L’élection présidentielle à Taïwan a suscité un regain de tensions entre Pékin et Washington autour de cette île que la Chine considère comme l’une de ses provinces, à réunifier par la force si nécessaire. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a rappelé à Davos l’importance des échanges commerciaux transitant par le détroit de Taïwan, prévenant que s’ils «venaient à être perturbés, cela toucherait toute la planète».
Francesco Ceccato relève également «l’importance de Taïwan pour la production de semi-conducteurs, et toute perturbation dans le flux de ce produit va être (...) une inquiétude». Ces puces, indispensables pour l’électronique des téléphones comme des voitures, figuraient parmi les pénuries les plus criantes ayant suivi la pandémie.
Sécheresse au Panama
Dans le canal de Panama, ce n’est pas la géopolitique mais la sécheresse et la pénurie d’eau liée au changement climatique et au phénomène El Niño qui réduit le trafic des navires.
Repli sur soi
Causes politiques, climatiques, ou même sociétales comme pendant la pandémie: «Nous avons davantage de sources de perturbations», et il est donc plus probable que plusieurs événements s’accumulent et créent des «goulots d’étranglement» dans le transport mondial, a expliqué à Davos Tobias Meyer,le patron de DHL. Il relativise cependant l’impact des difficultés actuelles: «La demande mondiale dans l’ensemble est encore assez faible», et il y a «beaucoup de capacités maritimes disponibles».
Pour Karen Harris néanmoins, «chacune de ces perturbations renforce le retour sur investissement pour le "nearshoring" ou le "reshoring"», à savoir l’implantation dans une zone proche ou la relocalisation chez soi de productions jusqu’alors réalisées à l’autre bout du monde. C’est bien l’enjeu quand on encourage la fabrication des vaccins en Afrique pour que le continent y ait un meilleur accès, ou quand l’Europe tente d’attirer sur son sol de stratégiques usines de batteries pour véhicules électriques.
Une situation géopolitique plus tendue est aussi plus propice au retour de mesures protectionnistes. Le Premier ministre chinois Li Qiang a d’ailleurs dénoncé à la tribune les «mesures discriminatoires pour le commerce et l’investissement». Il n’a pas élaboré, mais difficile de ne pas y voir une allusion aux freins mis par Washington à l’exportation de certaines puces très avancées, utilisées par exemple dans l’armement ou l’intelligence artificielle. Une mesure au nom de la sécurité nationale, selon le conseiller de la Maison-Blanche en la matière, Jake Sullivan. Il a assuré à Davos que ce n’était en rien un «blocus technologique».