En salles mercredi38 ans après Spielberg, la couleur reste pourpre
Le roman d'Alice Walker, dans sa version musicale de Broadway, revient au cinéma. Le film ne manque ni de style, ni d'élégance.
- par
- Jean-Charles Canet
En 1985-1986, sortait «La couleur pourpre» de Steven Spielberg. Le cinéaste le disait lui-même, il s'agissait de son premier film «adulte», dont le tournage fut marqué par la naissance de Max, son premier enfant.
Il s'agissait de l'adaptation d'un roman doublement primé d'Alice Walker, autrice afro-américaine qui, narre les éprouvantes épreuves que traverse Celie, une jeune noire en Géorgie, au début du siècle dernier. Déjà doublement engrossée par son beau-père, mariée de force à un homme qui la méprise et la bat, séparée de sa sœur avec qui elle entretenait une relation fusionnelle, elle devient une femme corvéable à merci.
Ça chante et ça danse
Son remake prend moins comme base le livre que son adaptation en spectacle musical à Broadway, monté en 2005. Le long métrage est d'une durée proche du film de Spielberg (2h20 contre environ 2h30). Mais hormis les passages musicaux, chantés et dansés, bien plus nombreux que dans l'original, le film parvient à conserver la même structure dramatique que la version de 1985. Et puis Steven, n'est de toute façon pas très loin puisqu'on retrouve sa compagnie Amblin crédité au générique et le nom du réalisateur d'«E.T. l'extraterrestre» en tant que producteur du film... avec Oprah Winfrey, de retour également (et Whoopi Goldberg, la Celie de 1985, pour une fugace apparition en tant que sage-femme)
«La couleur pourpre» n'a jamais été notre Spielberg préféré, le génial réalisateur fera par la suite d'autres films «adultes» autrement plus puissants, «La liste de Schindler» et «Lincoln» en particulier. Il n'est pas non plus notre Spielberg le moins apprécié, d'autre de ses films naviguent plus bas en dessous de notre subjective ligne de flottaison.
Cela explique que ce remake, réalisé par le cinéaste d'origine ghanéenne Blitz Bazawule, qui sort en salle ce mercredi, nous paraît ne pas trop souffrir du petit jeu de la comparaison et se révèle être une très bonne surprise. Certains de ses passages musicaux réservant même de magnifiques envolées, absentes de l'original. Un duo finement chorégraphié sur un 78 tours géant en légère rotation nous a ainsi fugacement éblouis.
Cette «Couleur pourpre» là ne manque en fait ni de style, ni d'élégance. Même si on conserve quelques réserves sur le dénouement qui n'évite pas le piège des bons sentiments. Une conclusion qui présente aussi un retournement un peu trop binaire pour être honnête de «Monsieur» aka Albert (Colman Domingo, jeune. Louis Gossett Jr., vieux), le mari violent. Sur ce point précis, Spielberg avait été un tantinet plus subtil.
Plus frontal sur la scène lesbienne?
Certains des admirateurs de la nouvelle version outre-Atlantique ont eu tendance à relever que ce remake était plus frontal (et donc plus moderne) que le Spielberg dans la description de la relation lesbienne entre Shug Avery (Taraji P. Henson) et Celie (Fantasia Barrino). À nos yeux, cette séquence est blanc bonnet et bonnet blanc: très allusive, loin de l'évocation plus crue du roman. Pas de quoi évoquer une quelconque évolution des mœurs qui avantagerait le neuf sur le vieux.
On ne serait en revanche pas étonné que certains se mettent à hurler au «wokisme» devant un film qui met au premier plan des femmes noires opprimées par un pathétique patriarcat. Un reproche qui aurait pu être fait au film de Spielberg si le concept même de wokisme avait été inventé en 1985 et que son emploi négatif, proche de l'insulte, ne s'était déjà généralisé.