Justice françaiseUn policier concède un coup illégitime dans l’affaire Théo
Lors d’une descente dans une cité près de Paris, un agent est accusé d’avoir grièvement blessé un jeune homme à l’anus avec un bâton. Il reconnaît un geste pas «adéquat».
Exaspéré, le policier a asséné un coup «ni adéquat, ni légitime». Il l’a reconnu, mardi, devant la justice française, qui le juge avec deux autres collègues pour des violences sur un jeune homme noir en région parisienne lors de son interpellation.
Presque sept ans après les faits, Théodore Luhaka, aujourd’hui âgé de 28 ans, garde des séquelles irréversibles d’une blessure à l’anus provoquée par une matraque télescopique. Trois gardiens de la paix sont sur le banc des accusés, dans la salle de la Cour d’assises de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, au nord de Paris.
Un tir de lacrymogène sue le jeune, qui était menotté
Le 2 février 2017, J.D., gardien de la paix, devait «être absent» après avoir été arrêté par le médecin. Mais le chef de bord a «une responsabilité» envers ses agents, explique le fonctionnaire de police, crâne rasé, barbe fournie. Deux gestes lui sont reprochés: une bousculade et des tirs de gaz lacrymogène sur Théo, alors qu’il était menotté.
Avec son équipage de la brigade spécialisée de terrain, il a décidé d’effectuer un contrôle sur un groupe d’une dizaine de jeunes dans la cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), «un lieu bien connu de vente de stupéfiants», assure le policier. «On était là pour déranger leurs affaires.»
Le contrôle d’identité a dégénéré. «J’ai vu quelqu’un qui de grand, balèze (Théo mesure 1m94, ndlr), qui a porté des coups à mes collègues et essayé de se soustraire au menottage», selon le récit du fonctionnaire, qui va effectuer «un amener au sol» sur la victime, mais a échoué à la maîtriser.
«C’est la première fois que je perdais le contrôle sur une interpellation», confie le policier, qui assure que «la majorité des contrôles se passaient bien».
«Un sentiment d'hostilité permanent»
Au cours de son interrogatoire, le gardien de la paix, 42 ans, est longuement revenu sur son quotidien en banlieue parisienne. «Chaque fois que la brigade rentrait dans une cité, c’était toujours une défiance, des insultes, un sentiment d’hostilité permanent», affirme-t-il. L’objectif de leur descente était de «faire bouger les jeunes qui squattent les halls d’immeuble» et s’adonnent au trafic de drogue.
Le jour où Théo Luhaka s’est fait contrôler, J.D. ne l’avait «jamais croisé pendant quatre ans» de fonction, «jamais vu sur le point de deal». Lors de son interpellation, le jeune homme va recevoir un violent coup dans son anus avec la pointe d’un bâton télescopique de défense. Et une fois menotté, le jeune homme va recevoir un coup dans le ventre, se faire bousculer. Sa tête fut projetée contre un muret, la scène a été captée par la vidéosurveillance de la ville.
Un geste «ni adéquat, ni justifié, ni légitime, j’en ai bien conscience», dit le policier, qui a eu «sept ans pour bien avaler ce geste». «Je suis sur un pic d’adrénaline», «il y a de la crispation, de l’exaspération, de l’énervement», se justifie-t-il.
Lacrymogène? Un «départ involontaire»
Pour les trois tirs de gaz lacrymogène? Un «départ involontaire», jure l’agent, qui est désormais en poste dans son Sud-Ouest natal. «Vous avez la maladie de Parkinson?», a raillé l’avocat de la partie civile.
Le coup de poing asséné dans le ventre est «léger», promet un autre gardien de la paix, T.H., 31 ans. «C’est pour lui couper la respiration», a poursuivi le fonctionnaire, aujourd’hui en poste à Lille, sous les yeux ébahis de la présidente.
Le procès se poursuit mercredi.
D’autres agents se sont rendu compte de l’état de santé de Théo
Théo Luhaka sera embarqué au commissariat d’Aulnay-sous-Bois, pour y être placé en garde à vue. Il présentait alors des saignements abondants sur son visage, ses fesses, son T-shirt. La banquette arrière du véhicule de police était aussi tachée de sang. Mais les fonctionnaires n’ont rien vu des blessures. «Il n’est jamais plaint», ont répondu les deux agents.
Ce sont d’autres policiers au commissariat qui vont se rendre compte de la gravité de l’état de santé de la victime et vont déclencher les secours.