PérouMassacrés par l’armée, ils ont droit à une sépulture 37 ans plus tard
En 1985, des soldats péruviens avaient tué une septantaine d’habitants d’un village, accusés d’appartenir à une guérilla. Après examen ADN, près de 40 victimes ont été identifiées et enterrées.
Trente-sept ans après les faits, au Pérou, les victimes du plus grand massacre commis par l’armée pendant le conflit contre les guérillas d’extrême gauche ont trouvé une sépulture dans leur village d’Accomarca, après un long processus d’identification et la douloureuse remise des restes aux familles. La cérémonie funèbre a eu lieu vendredi dernier, sous un soleil automnal, dans ce petit village des Andes situé à 3400 m d’altitude, où la plupart des 500 habitants vivent de l’agriculture.
C’est là que le 14 août 1985, une patrouille militaire, sous le commandement du sous-lieutenant Telmo Hurtado, avait assassiné presque tous les villageois, dont des enfants, les accusant d’être des membres de la guérilla maoïste du Sentier lumineux. «En ce jour, nous honorons la mémoire des victimes et nous demandons pardon en tant que gouvernement», a déclaré le Premier ministre, Anibal Torres, devant une quarantaine de cercueils déposés sur la place du village.
De là, les cercueils blancs, marqués du nom des victimes, ont été transportés à dos d’homme jusqu’au petit cimetière distant d’un kilomètre, au son d’un groupe de musique traditionnelle. «Nous constatons une demi-justice. Nous exigeons une juste compensation de l’État», a déclaré, au nom de la communauté, un habitant, Florian Palacios, réclamant une indemnisation financière.
Douleur «jamais apaisée»
«La douleur dans mon cœur ne sera jamais apaisée…», a confié Teofilia Ochoa, qui a perdu sa mère et cinq frères et sœurs. «Ils les ont tous mis en rang, les ont enfermés dans trois maisons et ont tiré avec des balles, ont lancé des bombes et ensuite, ils ont commencé à brûler. Tout le monde criait, c’était un moment terrible», se souvient cette paysanne de 49 ans, qui avait échappé au massacre en s’enfuyant dans la campagne. «C’est une tristesse très profonde. On ne peut pas la raconter», renchérit Maura Quispe, 52 ans, dont la mère enceinte et une sœur de 6 ans ont été tuées.
«Pour nous, les experts légistes, le cas d’Accomarca a été un des plus complexes et emblématiques», explique l’anthropologue Lucio Condori, qui a dû travailler le plus souvent à partir de morceaux épars de squelettes. À partir de 2002, la justice péruvienne a commencé à enquêter sur ce massacre, et une dizaine de militaires ont été condamnés. Surnommé le «boucher des Andes», Telmo Hurtado, 60 ans, purge depuis 2006 une peine de 23 ans de prison.
«Beaucoup de fils et filles pourront donner à leurs parents un enterrement chrétien, mais il y a des enfants qui continueront à attendre, parce que des restes n’ont pas encore été identifiés», avait expliqué, à la veille de la cérémonie, le maire d’Accomarca, Fernando Ochoa, qui a lui-même perdu sa grand-mère dans le massacre.
21’000 personnes portées disparues
Selon le rapport de 2003 de la Commission vérité et réconciliation, 4000 fosses communes de victimes du conflit entre l’armée et les guérillas (1980-2000) ont été localisées au Pérou, et 21’000 personnes sont portées disparues. Les paysans pauvres des Andes ont très souvent servi de chair à canon, tant pour les guérillas d’extrême gauche que pour l’armée.