FranceLa Cour des comptes inquiète quant aux recours aux cabinets de conseil privés
L’institution estime lundi dans un rapport attendu que le gouvernement en fait un usage «inapproprié» et demande à l’Etat de clarifier les règles en la matière.
La Cour des comptes a pointé lundi des recours «inappropriés» du gouvernement aux cabinets de conseil privés, et réclamé de l’Etat qu’il clarifie les règles encadrant cet usage qui a provoqué des dérapages financiers. Plus d’un an après le rapport du Sénat qui avait qualifié de «phénomène tentaculaire» les missions confiées par l’Etat aux cabinets privés, la Cour des comptes a réclamé dans son premier rapport rédigé à la demande des citoyens une pratique «mieux maîtrisée». L’institution accuse notamment l’Etat de laisser certains prestataires privés comme EY, le cabinet BCG ou Roland Berger remplir des missions relevant du «coeur de métier de l’administration», voire même «intervenir dans le processus de décision» (Eurogroup, Capgemini).
Des pratiques dénoncées dès mars 2022 par la sénatrice communiste Eliane Assassi et son collègue Les Républicains Arnaud Bazin. Leur rapport, sorti quelques semaines avant l’élection présidentielle, avait embarrassé Emmanuel Macron, épinglé pour sa proximité alléguée avec de grands noms du conseil. Le Parquet national financier a ouvert en octobre 2022 deux informations judiciaires sur des soupçons de financement illégal des campagnes électorales d’Emmanuel Macron et sur les liens entre le camp présidentiel et des membres du cabinet McKinsey qui auraient pu œuvrer gratuitement lors de la campagne de 2017.
Des dépenses en conseil qui ont triplé
Dans le rapport publié lundi, la Cour des comptes estime que le recours aux consultants privés a eu tendance à devenir une «solution de facilité» pour une administration aux moyens et aux délais contraints. L’externalisation doit retrouver «une place plus ajustée et mieux maîtrisée parmi les différents instruments des administrations pour conduire leurs missions», jugent-ils. En 2021, les prestations commandées par l’Etat aux consultants ont coûté 233,6 millions d’euros, soit 0,04% des dépenses de l’Etat. «Ce sont des ordres de grandeur nettement moins élevés que dans la plupart des pays comparables», notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, a souligné le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici lundi lors d’une conférence de presse. Reste qu’entre 2017 et 2021, les dépenses de conseil de l’Etat ont triplé.
Besoin de mesures ciblées
La Cour des comptes le concède, les dépenses sont retombées à 200,2 millions d’euros en 2022, année d’introduction d’une circulaire créant «une nouvelle politique de recours aux prestations intellectuelles». «Un point d’inflexion incontestable», a reconnu Pierre Moscovici. «Mais les mauvaises habitudes peuvent vite se réinstaller». L’Etat s’est aussi doté d’objectifs de réduction de ses dépenses de conseil: -15% en 2022 et -35% en 2023 par rapport à 2021. Ces chiffres donnent un «signal utile» mais «ne sauraient se substituer à des mesures ciblées, décidées après une analyse préalable et documentée des déterminants de la décision d’externaliser certaines prestations» estime la Cour.
Dans sa réponse annexée au rapport la Première ministre Elisabeth Borne ne juge «pas opportun de définir une doctrine plus fine d’emploi des prestations intellectuelles à un niveau interministériel», la décision devant selon le gouvernement plutôt revenir à chaque ministère. En plus de clarifier sa doctrine de recours aux consultants, l’Etat doit poursuivre ses efforts de réinternalisation des compétences de conseil et faire appel «chaque fois que c’est possible» à ses agents, recommande encore la Cour. Mais selon Mme Borne, au sein de l’administration, «il n’existe pas un volume si important de compétences sans affectation», en d’autres termes des hauts fonctionnaires désœuvrés qui pourraient assumer des missions de conseil.
«Une loi est nécessaire»
Très largement adoptée au Sénat en octobre 2022, une proposition de loi visant à davantage encadrer le recours aux consultants privés attend toujours d’être examinée à l’Assemblée nationale. Deux députés, issus des groupes communiste et Renaissance, doivent présenter mercredi les conclusions d’une mission d’information sur le champ d’application de la proposition de loi que la majorité présidentielle réfléchit à étendre aux collectivités locales. Interrogé par l’AFP, un parlementaire d’opposition voit dans ces débats sur le périmètre du texte une manoeuvre dilatoire du gouvernement. «Une loi est plus que jamais nécessaire», ont insisté Arnaud Bazin et Eliane Assassi dans un communiqué diffusé lundi. «Nous avons perdu suffisamment de temps, le gouvernement doit passer des promesses aux actes». Quant aux cabinets, leur syndicat Syntec Conseil juge la proposition de loi «déconnectée de la réalité» et certaines dispositions inconstitutionnelles.