Littérature: «La page est-elle tournée sur votre vie de paysan?»

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Littérature«La page est-elle tournée sur votre vie de paysan?»

À 69 ans, l’écrivain Jean-Pierre Rochat a abandonné l’agriculture, mais pas la littérature. Rencontre à l’occasion de la sortie de son dernier recueil de nouvelles, «Les mots comme des lapins lâchés dans la nature».

Vincent Donzé
par
Vincent Donzé
Jean-Pierre Rochat, un pied en ville, l’autre à la campagne.

Jean-Pierre Rochat, un pied en ville, l’autre à la campagne.

lematin.ch/Vincent Donzé

Depuis qu’il est retraité, l’écrivain Jean-Pierre Rochat (69 ans) a tourné le dos à sa ferme pour résider dans une villa familiale qu’il a quittée à l’âge de 14 ans. Un retour forcé dans l’enfance, source d’inspiration. Mais dans «Les mots comme des lapins lâchés dans la nature», l’écrivain prolifique, remis d’une embolie pulmonaire, commence par raconter son pèlerinage avorté pour cause genoux bloqués. lematin.ch l’a rencontré sur la place de la Gare à Bienne.

La page est-elle tournée sur votre vie de paysan?
Ces 50 ans de vie active, c’est ce qui marche encore en littérature. Les gens qui m’achètent des livres m’ont vu au Marché-Concours de Saignelégier… (ndlr. la fête du cheval Franches-Montagnes). Mais les passions s’estompent: je n’y vais plus, je n’y touche plus…


Mais vous gardez votre barbe, immuable…
…un copain de mon fils croyait que j’étais le dernier vrai Romain! Mes nouvelles ont toujours une base réaliste qui dévie dans la fiction, comme celle sur le concierge du pro gymnase.


À partir de quand rembobine-t-on sa vie?
Je dois me sentir bien vieux pour avoir recours à mes souvenirs… L’inspiration, ce n’est pas évident: tu t’assieds devant une page blanche et rien ne vient, c’est le vide. Par paresse, les trucs du passé reviennent, pratiquement jusqu’à l’enfance.

Une figurine à son effigie, réalisée par son partenaire musical Urs Bruniman.

Une figurine à son effigie, réalisée par son partenaire musical Urs Bruniman.

lematin.ch/Vincent Donzé

«Les mots comme des lapins lâchés dans la nature», c’est un titre qui évoque l’agriculture ou la littérature?
Les deux, l’agriculture au passé, la littérature au présent! Ce n’est pas moi qui l’ai choisi: cette phrase a été extraite d’une nouvelle par l’écrivain français Claude Hammel, auteur de la préface. Mais j’ai la paysannerie chevillée au corps. Dans la villa familiale où je vis à Évilard, une maison que j’ai quitté à 14 ans, j’ai des poules, des chats, des chiens.


Après un pèlerinage qui a tourné court…
C’est l’objet des trois premières nouvelles.


…vous vous êtes retrouvé devant la gare de Bienne, sur la «Robert Walser-Sculpture» de l’artiste Thomas Hirschhorn, pourquoi?
Son concept d’intégration était génial et de plus, il a réussi! Je reste admiratif de sa créativité et de son énergie. Cet entre-deux m’a sorti de ma déprime.

Comme une envie d’ailleurs, ici au Café Brésil, mais l’écrivain voyage surtout dans sa tête.

Comme une envie d’ailleurs, ici au Café Brésil, mais l’écrivain voyage surtout dans sa tête.

lematin.ch/Vincent Donzé

Vous sentez-vous bien dans une époque qui devient sans viande?
Tous les mouvements sont excessifs, mais ils suscitent une prise de conscience. Mangeons de la viande suisse, élevée en Suisse. C’est la base de ce pays, de ses paysages. Le problème, c’est que les paysans marchent main dans la main avec l’industrie. Ceux qui vont à l’agriculture par idéalisme sont minoritaires.


Vous n’êtes plus «Berger sans étoile», le titre du livre qui vous a fait connaître à Paris?
Je n’ai pas abandonné l’idée d’une bergerie en saison, avec un chien, pour boucler la boucle. Mais j’ai cinq petits-enfants…

Lecture et dédicaces à Librairie Bostryche, place de la Fontaine, rue Centrale 14, à Bienne, ce jeudi 27 octobre dès 19 heures.

Ce jeudi, Jean-Pierre Rochat lira quelques nouvelles avec un accompagnement musical.

Ce jeudi, Jean-Pierre Rochat lira quelques nouvelles avec un accompagnement musical.

Libraire Bostryche

«Les noms»

«Les noms, comme des outils qui tombent du tracteur j’oubliais les noms, depuis toujours, c’est pas nouveau, c’est pas grave, tant que les visages résistent même sans nom.

Je voulais lui présenter mon amour mais je me souvenais plus de son nom à lui, Pedro, Pablo, Carlo, vieille branche, je te présente mon pote le bûcheron, à ma princesse je présente ce camarade.

En se penchant sur lui elle demande ce qui lui est arrivé.

-Ce qui m’est arrivé?

-Oui, puisqu’elle te le demande.

-Toi!

-Moi?

-Tu crois peut-être que je me souviens plus? Ça te ferait trop plaisir.

-Non frère.

J’avais bu, j’étais capable d’y filer cinquante balles. mais il s’en foutait pas mal.

-Non, madame la beauté sur terre. Un arbre m’est tombé dessus et j’ai passé la nuit dessous, mes collègues étaient déjà tous partis pour voir le match. Paralysie depuis ici jusqu’en bas.

Je cherche encore son nom propre, Portugais d’origine, depuis tout petit dans les forêts d’ici il parlait sans accent, comment c’est son nom? Pareil pour les autrices, les auteurs, les noms me font défaut. Les livres. Dans la nuit hivernale j’ai découvert une autrice formidable, je l’emporte avec moi, j’ai oublié son nom».


Jean-Pierre Rochat

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