Le capitaine Nemo voyage dans les Cités Obscures

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InterviewLe capitaine Nemo voyage dans les Cités Obscures

Schuiten et Peeters fusionnent leur univers avec celui de Jules Verne dans un livre aussi beau que fascinant.

Michel Pralong
par
Michel Pralong

La bande-annonce du «Retour du capitaine Nemo».

Casterman

Cela faisait 14 ans que les Cités Obscures, ce monde imaginaire créé par le dessinateur François Schuiten et le scénariste Benoît Peeters, n'avait pas connu de nouveau chapitre. Un livre vient enfin de paraitre, introduisant un nouveau personnage dans cet univers. Il est pourtant déjà mondialement connu, puisqu'il s'agit du capitaine Nemo.

Les deux auteurs imaginent que le héros de Jules Verne, apparu dans «Vingt mille lieues sous les mers» et revenu dans «L'île mystérieuse» n'est pas mort à la fin de ce roman. Il a bien coulé avec le Nautilus, mais il s'y réveille, son sous-marin étant devenu un hybride entre son submersible et un poulpe géant. Spectateur impuissant, le terrible capitaine assiste au voyage que lui fait faire cette créature, passant dans presque toutes les Cités obscures imaginés par le duo d'auteurs de BD.

Tout part d'une sculpture géante

C'est ce Nautipoulpe qui est à l'origine de ce livre, qui n'est pas une bande dessinée, mais un récit illustré: la page de gauche montrant chaque fois le capitaine Nemo, narrateur du récit, celle de droite présentant un grand dessin en noir et blanc du monstre près ou dans une des Cités. «Amiens, la ville de Jules Verne, m'a approché pour rendre un hommage digne de ce nom au grand écrivain, nous explique François Schuiten. Parce qu'à part une station de péage à son nom et deux trois choses par-ci par-là, il n'y rien, c'est pathétique. La richesse d'une ville, c'est son imaginaire, alors avoir celui de Jules Verne et ne pas en profiter...»

Le Nautipoulpe émergeant à Amiens, ce qui deviendra une sculpture dans la ville.

Le Nautipoulpe émergeant à Amiens, ce qui deviendra une sculpture dans la ville.

Schuiten

Schuiten va donc proposer d'ériger une sculpture géante représentant cet hybride Nautilus poulpe. Un projet colossal puisqu'elle pèsera 12 tonnes, fera 10 mètres de long et semblera surgir du sol. Elle sera terminée en décembre 2024 où elle trônera d'abord devant le palais de justice de Bruxelles avant d'aller s'installer définitivement à Amiens au mois de mars.

Raconter le voyage du Nautipoulpe

Benoît Peeters voit les premiers dessins préparatoires de la statue. Les deux hommes ont de nombreuses activités chacun de son côté, mais ils gardent toujours un contact étroit qui remonte à leur rencontre à l'école, quand ils avaient 12 ans. «Depuis très longtemps, je voulais rendre un hommage à Jules Verne, explique le scénariste. Notre univers est très proche du sien, même si nous ne l'avons jamais cité. Nous avons donc eu l'idée de raconter d'où venait ce Nautipoulpe et comment il termine son voyage à Amiens».

Benoît Peeters se replonge donc dans les livres de Verne et décide de faire revenir Nemo. Jules Verne lui-même en avait eu l'intention. Le capitaine se réveille dans son Nautilus devenu un être hybride, sans que l'on explique comment, et il va être le témoin de ce voyage qui s'accomplit, sans en être le maître. «Il doit apprendre la passivité. C'est métaphorique, c'est Jules Verne qui vivait des aventures extraordinaires en restant assis à son bureau.»

La Nautipoulpe émergeant des pofondeurs, Nemo à son bord.

La Nautipoulpe émergeant des pofondeurs, Nemo à son bord.

Casterman

Brüsel, les pitons de Porrentruy, Mégara: c'est toute la géographie des Cités obscures qui défile sous les yeux de Nemo et du lecteur. Une créature hybride dans une création hybride mélangeant Verne et l'univers de Schuiten et Peeters. «Quand nous lisions les belles éditions des livres de Jules Verne, j'étais marqué par les textes et François par leur dimension visuelle», explique Peeters. «Par la beauté de l'objet en lui-même, renchérit Schuiten, qui rendait jaloux bien des auteurs de l'époque et renforçait leur mépris pour cet écrivain populaire.» C'est pour cela que ce «Retour du capitaine Nemo» est également un beau livre, dans l'esprit de ceux de Jules Verne.

Les hachures poussées à l'extrême

Les dessins de Schuiten sont tout en hachures. «Le danger de vieillir, pour un dessinateur, c'est de se replier, de s'assécher. Il faut bousculer cela, creuser, pour voir s'il y a encore du jus. J'ai vu trop de dessinateurs faire des livres dont ils auraient pu se passer. Alors, j'ai décidé d'aller au bout de cette technique de hachures. Du coup, le dessin n'est jamais fini. Je suis revenu jusqu'à dix fois sur certains d'entre eux. Casterman a dû m'arracher les planches des mains, me disant que cela suffisait, que le lecteur ne verrait pas la différence. Je hais cette phrase. Mon père disait_ «Le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui» et je trouve cela très juste.»

«J'avais un peu peur de la réception du public en découvrant que le livre n'était pas une BD, avoue Benoît Peeters. Mais je crois que nous avons bien habitué nos lecteurs avec nos albums différents de ce qui se fait d'habitude. L'accueil est très bon.»

«Nous avons des lecteurs formidables, reconnaît Schuiten. Ils attendent qu'on les surprenne et je crois qu'ils seraient déçus si nous avions fait un album classique.»

Un hommage à son chien

Après son Blake et Mortimer, «Le dernier pharaon», Schuiten avait dit ne plus vouloir faire de BD. Il a dû toutefois finir le tome 2 d'«Aquarica», dont il avait imaginé l'histoire pour son ami Benoît Sokal et que ce dernier n'a pu finir, ayant succombé à une longue maladie. «C'était évident de le terminer. Tout comme cela m'a semblé naturel de rendre hommage ensuite à mon chien Jim, décédé, lui qui m'a accompagné partout durant des années. C'était aussi pour montrer que cela peut paraître indécent de porter le deuil d'un animal de compagnie, par rapport à la perte d'un ami, mais ce livre de dessin sur Jim montre tout ce qu'il m'a apporté et a représenté dans ma vie. J'ai ensuite été totalement dépassé par son succès, on a déjà dû le réimprimer trois fois.»

«Jim», par François Schuiten, Éd. Rue de Sèvres.

«Jim», par François Schuiten, Éd. Rue de Sèvres.

Schuiten

À la fin du «Retour du capitaine Nemo», on redécouvre des illustrations que Schuiten avait faites pour une nouvelle édition en 1994 de «Paris au XXe siècle», que l'éditeur de Jules Verne lui avait refusé à l'époque, car il avait une vision trop sombre de l'avenir. «C'est ce côté sombre que l'on retrouve également chez Nemo, le personnage le plus noir de Verne, donc cela semblait naturel de mettre ces illustrations ici».

«Le retour du capitaine Nemo», par Schuiten et Peeters, Éd. Casterman, 96 pages.

«Le retour du capitaine Nemo», par Schuiten et Peeters, Éd. Casterman, 96 pages.

Casterman

Schuiten et Peeters planchent maintenant sur un spectacle, qui racontera au public comment le duo fonctionne, avec Peeters parlant, Schuiten dessinant, en musique, avec des projections. Le duo sera présent au festival de BD de Delémont en juin prochain, on devrait donc pouvoir assister à une représentation. Et Schuiten préparerait une autre surprise.

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