JaponDettes et prostitution: les proies faciles des bars à hôtes
Des jeunes japonaises se retrouvent emprisonnées dans un système malsain. L'une d'elle témoigne: «je voulais être aimée».
Adolescente, Mirai Kisaragi a fui ses parents abusifs, a vécu un temps dans la rue, lutté contre des pensées suicidaires, puis à 18 ans, elle pensait avoir trouvé son «sauveur» dans un bar à hôtes.
Mais là encore, la vie allait lui jouer un bien mauvais tour.
Car il n’a pas fallu longtemps pour que Kisaragi rejoigne les rangs d’un nombre croissant des victimes de certains de ces établissements, qui exploitent financièrement et sexuellement la détresse de leurs clientes.
À l’instar des hôtesses dans les bars éponymes réservés aux hommes, les hôtes, toujours impeccablement apprêtés, régalent les clientes de belles paroles et de boissons onéreuses payées par ces dernières.
Mais certaines clientes à la recherche d’une histoire d’amour peuvent se retrouver prises au piège d’une fausse relation et plonger dans les dettes, parfois même dans la prostitution.
Le parcours de Mirai Kisaragi est celui d’une jeune adolescente qui quitte le domicile familial à 14 ans pour les rues miteuses de Kabukicho, un quartier «chaud» de Tokyo. Elle passe d’abord ses nuits dans les escaliers de secours d’immeubles avant de trouver refuge dans un centre de soins.
Majeure, elle rencontre un homme «sympa» qui lui donne le sentiment de s’intéresser à elle: un hôte.
«Bienvenue à la maison»
«À chaque fois que j’ouvrais la porte du bar à hôtes pour le voir, il me souhaitait la «bienvenue à la maison», ce que jamais personne ne m’avait dit chez moi», explique à l’AFP la jeune femme aujourd’hui âgée de 23 ans.
Mais le piège se referme! Comme beaucoup, elle aligne les soirées dans le bar et y accumule les dettes. L’homme, considéré par les gérants de bars comme responsable des dettes de sa cliente, la contraint alors à se prostituer pour rembourser les sommes dues.
«Moi, naïvement, je pensais à l’époque qu’il m’avait donné du travail et un smartphone. J’avais l’impression qu’il était mon sauveur», explique-t-elle.
Les cas sont nombreux. Comme cette jeune femme de 20 ans qui, elle aussi, a été séduite, dépensant plus de 10 millions de yens (60'000 francs) en deux ans dans ces endroits. Surendettée, elle a également fini par se prostituer.
«Je voulais être aimée», confie à l’AFP sous anonymat celle qui a essentiellement grandi dans des centres de placement. «Je pensais que la vie ne vaudrait pas le coup si mon hôte me détestait» ajoute-t-elle.
Lavage de cerveau
Selon les organisations d’aide, ces personnes en détresse subissent un véritable lavage de cerveau, avec des promesses d’amour, voire de mariage.
Misant sur la vulnérabilité et la pauvreté de ces femmes, les hôtes emménagent même parfois avec leur victime, qui subissent souvent «des violences domestiques», selon Kazuna Kanajiri, responsable d’une association basée à Tokyo, PAPS.
«Les cibles les plus faciles sont les femmes jeunes et pauvres, issues de famille monoparentale», explique-t-elle à l’AFP.
«Véritable trafic d’êtres humains»
Hidemori Gen, qui a créé une association de soutien pour les parents, parle de «véritable trafic d’êtres humains» pour évoquer les flux financiers qui circulent autour des réseaux d’hôtes, des recruteurs et du commerce du sexe.
Au moins 250 victimes ont été recensées par cette association depuis le mois de juillet, un chiffre en pleine explosion selon Hidemori Gen.
«Ces femmes valent 20 millions de yens (120'040 CHF). C’est le genre de raisonnement sur lequel reposent les bars à hôtes» ajoute-t-il.
Certains établissements se défendent et prétendent que beaucoup de leurs clientes sont des travailleuses du sexe avant même de se retrouver liées à un hôte.
M. Saito, hôte dans un des clubs de Kabukicho qui n’a donné que son nom, assure à l’AFP qu’il avertit «toujours les femmes sur les tarifs des boissons avant qu’elle commande».
«Se retrouver avec des dettes est aussi leur choix. Certaines se retrouvent endettées et je finis par endosser leur dette», dit l’homme de 27 ans.
Début de réaction
Mais face à ces situations dramatiques, le temps de la réflexion semble venu pour le milieu des bars. D’autant que le Premier ministre Fumio Kishida a appelé à des mesures.
Début décembre, les exploitants des bars à hôtes du quartier de Kabukicho se sont engagés à éliminer progressivement la pratique des dettes impayables et à éliminer les liens avec la mafia locale.
Le secteur avait «sans aucun doute conscience» du problème «mais ne prenait pas cela aussi sérieusement qu’il aurait dû», a expliqué la semaine dernière à la presse Takayuki Makita, responsable du principal regroupement de bars.
«En aucune façon, conduire des femmes à la faillite doit être la bonne façon de faire», a-t-il ajouté.
Devenue membre de l’association PAPS après ses années de galère, Mirai Kisaragi se reconnaît dans toutes ces jeunes adultes qui arpentent les rues de Kabukicho lorsqu’elle effectue des tournées de sensibilisation.
«Kabukicho est une ville où se suicider peut être perçu comme un acte héroïque, dit-elle. Quand je leur parle, je pense «tu ne dois pas mourir». Je veux qu’elles vivent.»