«On ne peut pas mourir deux fois!»

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Littérature«On ne peut pas mourir deux fois!»

Dans un livre dans lequel «il est urgent de ne pas mourir», un croque-mort revient sur les décès du Covid.

Vincent Donzé
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Vincent Donzé
François Vorpe est croque-mort à Tavannes (BE).

François Vorpe est croque-mort à Tavannes (BE).

lematin.ch/Sébastien Anex

Un livre sur la mort, un autre sur les roux, et voilà un troisième opus de François Vorpe (70 ans), croque-mort à Tavannes: «Il est urgent de ne pas mourir». De quoi parle-t-il? «Des décès survenus pendant la pandémie», résume ce menuisier devenu entrepreneur de pompes funèbres à 22 ans.

En 54 ans de carrière, depuis son apprentissage, François Vorpe n'avait jamais suivi un rythme de décès aussi soutenu que pendant le Covid-19. Vacciné pour accéder aux hôpitaux et aux homes, il n'a pas côtoyé les familles des défunts autant qu'à l'accoutumée, ce qu'il déplore.

Restrictions et contraintes

Restrictions et contraintes ont pesé sur les obsèques: accompagnement distancé, participation limitée, désinfection permanente... Le constat de François Vorpe, c'est que les comportements se sont rigidifiés pour pas grand-chose.

«En emportant les plus affaiblis, la pandémie n'a fait que condenser les décès, sans les augmenter à long terme», dit-il. «On ne peut pas mourir deux fois!», lâche le croque-mort de Tavannes pour souligner son propos.

Une avalanche de décès a été suivie d'une période creuse. Mais au plus fort de la pandémie, il n'y avait pas une cérémonie pour chaque inhumation: «Le défunt était conduit au crématoire et c'est tout, comme s'il ne valait rien», rapporte François Vorpe.

Seul sur une tombe

Le croque-mort s'est parfois retrouvé seul avec des cendres sur une tombe commune. «J'ai vu des livrets de famille déposés avant un départ en vacances. La consigne en cas de décès était de procéder à une incinération sans déranger les vacanciers», soupire François Vorpe, en évoquant «l'anonymat du départ».

L'absence de cérémonie ne convient pas à l'entrepreneur de Tavannes: «Ne rien organiser, c'est comme si la personne n'avait servi à rien», insiste-t-il. La publication d'un faire-part est à ses yeux une nécessité pour éviter ce dialogue: «Et ton papa, il va bien?» «Il est mort il y a six mois».

Son livre est tiré à mille exemplaires aux éditions «Chez Yvette».

Son livre est tiré à mille exemplaires aux éditions «Chez Yvette».

lematin.ch/Vincent Donzé

«Dans mon constat, il y a de l'émotion, pas de la religion. Je prône du respect pour celle ou celui qui part», précise François Vorpe. À ses yeux, les décès de la pandémie ont été expédiés sans permettre de faire son deuil, d'accepter le départ du défunt. 

S'il discute le choix de ceux qui restent, en soulignant l'importance de dire adieu, François Vorpe respecte la volonté de ceux qui partent. Quelle sera la sienne? «Je veux un enterrement très discret», murmure ce croque-mort.

François Vorpe veut être enterré sous un parterre herbeux, sans chichi. Son épitaphe est déjà choisie: «Ici repose peu de chose».

Un extrait page 163

En arrivant au domicile où le décès a été constaté préalablement par le médecin, lequel a précisé que le décès est dû au Covid, je reste étonné car, malgré la discussion avec la famille, les voisins nous observent avec une attitude de réserve pour ne pas dire de peur.

Nous analysons le parcours, passage dans les escaliers de l'appartement pour accéder à la chambre où le corps repose. Munis du masque, nous échangeons des questions avec la famille et expliquons que nous allons nous équiper spécialement pour la prise en charge du corps de son proche.

Arrivés au corbillard, mon collègue et moi-même enfilons une combinaison jetable avec fermeture-éclair, des protections plastiques pour protéger nos chaussures, des gants latex, une paire de lunettes de protection en plus du masque ainsi qu'un capuchon avec élastique. Équipés de la sorte, nous avons l'apparence de scaphandriers.

Pour passer inaperçus, c'est raté, car oui, dans chaque intervention de notre service des pompes funèbres, j'apporte une très grande importance à la discussion sur l'attitude possible.

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