Bande dessinéeLucky Luke face au pire des dangers: des enfants!
Dans cet hommage à son héros préféré, Blutch joue avec les nerfs du flegmatique cow-boy: hilarant!
- par
- Michel Pralong
Quand Lucky Luke amène au shérif le jeune Rufus Kinker, qui a tenté de voler Jolly Jumper, il ne sait pas qu'il vient de commettre l'une des plus grosses gaffes de sa vie. Car l'ado s'occupait de sa sœur Rose et de son frère Casper, leurs parents hors-la-loi ayant disparu. Lucky Luke n'a donc pas d'autre choix que de les prendre sous son aile.
Sauf que les deux mômes sont insupportables: rien ne plaît à Rose (sauf la belle danseuse de cabaret et monter sur scène pour une folle danse en pleine bagarre de saloon) et Casper est totalement ailleurs. Les Comanches, chez qui ils seront brièvement adoptés (même la patience du vieux chef a des limites), appelleront d'ailleurs le garçon Lune-à-midi.
Jamais on aura autant vu Lucky Luke sur le point de craquer. On doit cet album, sans doute parmi les plus drôles, à Blutch. Il s'était déjà essayé à un Tif et Tondu revisité, mais il donne là le meilleur de lui-même dans ce vibrant hommage à son héros de BD préféré quand il était enfant. L'album est sorti le 1er décembre, jour des cent ans du créateur du cow-boy, Morris. Et Blutch était de passage en Suisse la semaine dernière, l'occasion de comprendre pourquoi il s'est montré si cruel envers le cow-boy.
«J'ai réalisé cet album en sept mois, en flux tendu. L'idée est née autour d'une bière avec l'éditeur en janvier à Angoulême et, comme 2023 était l'année d'un «Lucky Luke vu par...» (la série officielle sort un album les années paires), on s'est dit« chiche, on tente le coup». J'ai tellement aimé lire Lucky Luke enfant, le dessiner à l'époque que c'était génial de pouvoir en faire un. Et quand j'ai commencé, j'étais préparé, je connaissais mon rôle. »
Inspirés par ses propres enfants
L'idée de génie, c'est que Lucky Luke doive s'occuper d'enfants. «Il n'y en a pas beaucoup dans la série, Coyotito dans «Canyon Apache» et quelques autres. Mais les miens sont tout à fait dans la ligne des enfants imaginés par Goscinny. Je n'ai pas eu à chercher bien loin, je me suis inspiré directement des miens. Mon fils est autiste, ce qui donne les dialogues lunaires de Casper et ma fille a la langue bien pendue. Je l'ai fait poser pour la séquence avec le fusil et ensuite, elle s'est identifiée à Rose, disant «je» en commentant les scènes avec la petite fille.»
Maîtresse d'école, vieilles rombières vertueuses, indiens, personne ne garde les deux monstres très longtemps. Ils reviennent toujours dans les pattes de Lucky Luke. «N'importe qui les aurait abandonnés au bord du chemin, mais il ne peut pas, c'est un héros». Qui lâchera tout de même, quand Rose lui demande s'il aime les enfants, un «Pas trop».
Comme si les deux loupiots ne suffisaient pas, Lucky Luke en prend pour son grade tout au long de l'album. «Goscinny l'entourait de gens lâches, veules, ingrats, qui ne méritaient pas un tel héros. C'est pour cela qu'il s'éloigne à la fin de chaque album. Mais il revient toujours, car c'est un héros. Là, tout le monde lui reproche chacune de ses actions.» Il craque presque lorsque le shérif lui dit: «Vos méthodes commencent à agacer tout le monde». «Ça tombe bien! Moi aussi, beaucoup de monde m'agace», lâche-t-il.
Ni Dalton, ni Rantanplan
Blutch a puisé dans tout le répertoire de Lucky Luke, multipliant les clins d'œil à Billy le Kid avec les caramels rouges, au «Cavalier blanc», ou à «L'escorte» avec la même troupe de bandits.« Il manque le croque-mort et le goudron et les plumes. Ainsi évidemment que les Dalton et Rantanplan. Je les regrette, mais cela aurait fait trop. Je voulais que les bons mots viennent de la bouche des enfants. Et Casper est comme Rantanplan, il ne fait pas avancer l'action d'un pouce. J'adore ces personnages qui apportent un autre son de cloche.»
Blutch a toutefois transgressé un tabou absolu: «Lucky Luke n'a plus le droit de fumer depuis 40 ans, mais j'ai trouvé l'astuce: il allume un bâton de dynamite avec une clope, profitant pour tirer une bouffée, le temps de deux cases.»
Comme c'est un hommage et pas un album de la série officielle, Blutch n'a pas eu à copier le dessin de Morris, même s'il a su fondre son style dans l'univers de Lucky Luke. «Mon cow-boy est très élastique. J'avais l'impression de tordre le Lucky Luke en latex que j'avais, petit. J'ai en revanche eu du mal à trouver Jolly Jumper. Je n'ai recommencé des planches qu'à cause de lui. On m'a fait remarquer que souvent, il ne touche pas terre. C'est vrai, mais je ne sais pas pourquoi je l'ai fait comme cela.»
Des dessins de ses enfants
Les enfants de Blutch auraient pu être crédités (ils sont certes remerciés à la fin), car ils ont davantage contribué à l'histoire qu'en l'inspirant seulement. Le dessin que laisse Rose à Lucky Luke, «Merci coyote», à la fin, c'est ma fille qui l'a fait. Elle a dû se forcer pour qu'il soit un peu brouillon. Et le mot «fin» de la case du «Poor lonesome cow-boy», c'est mon fils qui l'a écrit.»
Beaucoup d'émotions ont envahi Blutch au moment de dessiner cette ultime case. «C'est l'une des plus célèbres de la BD et, outre le fait d'être heureux d'être parvenu à arriver au bout de cette aventure, cela m'a fait un pincement au cœur de quitter Lucky Luke.» Mais il pourrait en faire un autre, non? «Je ne sais pas, J'avoue que je me suis beaucoup attaché à Rose et Casper, je me verrais bien raconter une autre aventure avec eux. On verra.»
Un dos de couverture gag
Il a encore ajouté sa touche au dos de l'album, où la légende du dessin n'est pas l'homme qui tire plus vite que son ombre, mais l'homme qui a troué la palissade. «Je me suis mis une nouvelle fois à hauteur d'un enfant, qui verrait ce dessin. C'est au final du vandalisme que fait là Lucky Luke en abîmant la palissade. Ce serait un gamin, il aurait été puni.»
Même si ce formidable album a été tiré à bien moins d'exemplaires qu'un Lucky Luke officiel, il semble plaire au public puisqu'une semaine après sa sortie, l'éditeur en a commandé un deuxième tirage.
Et si vous aimez Blutch et que vous passez par Bâle, le Cartoon Museum lui consacre une grande exposition, «Blutch demain!». Si vous êtes un grand fan de Blutch, vous pouvez même aller à Bâle exprès pour la voir. Elle dure jusqu'au 11 février.