Une architecte imagine la Grande Dixence en 2223

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EPFLUne architecte imagine la Grande Dixence en 2223

Une Valaisanne s'est basée sur des données scientifiques et de la science-fiction pour repenser la grande muraille.

Sar5ah Planchamp nous exxplique sa vision, avec des télécabines dans les galeries.

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Sarah Planchamp, diplômée en architecture de l’EPFL en 2023, a choisi, pour son travail de Master, de repenser le site du barrage de la Grande Dixence, lieu emblématique dans le cœur des Valaisans, en l'imaginant dans 200 ans.

«La lecture des rapports du GIEC n’est pas facile à comprendre pour tout le monde et leurs prévisions s’arrêtent en 2100. Plusieurs de nos infrastructures vont continuer à exister au-delà de cette date. J’ai voulu créer un scénario concret à plus long terme qui permette d’élargir notre horizon de pensée en combinant les ressources de l’imagination à des données scientifiques actuelles. «Si le barrage de la Grande Dixence lâche, on sera tous sous l’eau» est une phrase qui revient régulièrement parmi la population locale. D’où mon intérêt pour cette superstructure et son environnement naturel unique qui cristallisent de nombreuses interrogations», explique Sarah Planchamp, elle-même d’origine valaisanne.

Pendant ses études, l’ancienne étudiante a profité de l’interdisciplinarité encouragée au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC) pour suivre des cours dans les deux autres sections, en science de l’environnement et en ingénierie civile. Son envie d’approfondir ses connaissances au-delà de l’architecture lui a permis d’aborder les enjeux environnementaux et sociaux sous de nouvelles perspectives. Et cette approche globale a motivé son choix d’aller encore plus loin dans l’exploration d’une lecture plurielle de ces phénomènes au long cours.

Des auteurs de SF interrogés

Afin d’élaborer un scénario crédible de l’évolution de la région de la Grande Dixence sur les 200 prochaines années, Sarah Planchamp a utilisé de nombreuses ressources, à commencer par l’imagination. «Cette dernière a beaucoup de pouvoir puisqu’elle permet de se rassembler autour d’une histoire commune, de tester des hypothèses et de donner du sens à ce que l’on ne comprend pas.»

L’architecte a aussi eu recours à des données scientifiques actuelles et aux prévisions de la Confédération en matière de température, de précipitations ou de végétation pour toute la région qui alimente en eau le barrage de la Grande Dixence: soit une zone de plus de 420 km² entre Sion et Zermatt approvisionnée par 35 glaciers. Ensuite, elle a interviewé des scientifiques de divers laboratoires de l’ENAC pour comprendre aussi bien les enjeux énergétiques, la biologie des sols, les questions hydrauliques que la résistance des infrastructures dans 200 ans. Enfin, elle s’est entretenue avec le collectif d’auteurs Polyphème qui explore, entre autres, la science-fiction: une autre source d’information très inspirante pour trouver des pistes de construction d’un monde qui n’existe pas encore et des outils pour écrire une ethnographie de cette nouvelle société.

La limite des arbres remonterait de 1000 mètres

En combinant toutes ces données, elle est arrivée au scénario suivant: si l’on vivait en 2223, les précipitations seraient plus irrégulières, il ferait plus chaud et la limite des arbres remonterait d’environ 1000 mètres d’altitude. Dans ces conditions, une nouvelle organisation sociale verrait le jour. La population resterait stable, mais à cause de ces fortes différences de température, elle ne pourrait plus ni produire ni vivre dans la vallée du Rhône en été, entrainant le retour de la transhumance. Les glaciers ayant fondu et les précipitations étant plus irrégulières, les lacs et autres rétentions d’eau joueraient un rôle primordial à la fois pour l’approvisionnement énergétique et une production agroforestière en altitude.

Le barrage en lui-même résisterait au temps, mais subirait de profondes transformations, notamment au niveau de ses galeries de collecte d’eau. Aujourd’hui remplies entre avril et octobre, leur niveau serait beaucoup plus bas, offrant de nouveaux moyens de mobilité, par exemple avec l’installation de télécabines souterraines permettant de se déplacer de part et d’autre de la montagne.

Se préparer à l'avenir de manière rassurante

Quant aux zones de cultures, elles prendraient la forme de terrasses. Ces dernières permettraient de mieux retenir les sédiments et l’eau, d’éviter que les lacs se remplissent de sable et permettraient aussi de créer un sol fertile à de l’agroforesterie. On y cultiverait des essences plus adaptées au nouveau climat comme celles qui poussent déjà dans les Andes. Leurs emplacements seraient pensés stratégiquement afin d’éviter les éboulements et les dangers d’avalanche plus fréquents. Les maisons seraient construites sous terre, de manière à être intégrées aux terrasses. La vie en communauté serait également renforcée. «La population réapprendrait à vivre avec quelque chose de plus grand qu’elle en mettant au centre de ses valeurs le soin à l’autre et à la nature».

Et de préciser: «Mon scénario n’est pas forcément le plus probable, et ce n’est pas le but, mais permet de faire réfléchir. C’est une démarche low-tech et un moyen efficace de créer de la résilience. Il donne des outils pour se reconnecter et se préparer à ce qui pourrait nous arriver, mais d’une manière rassurante. C’est une image cohérente d’un lieu à partir duquel on peut proposer des alternatives à notre société.»

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